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Mes histoires de famille
20 novembre 2016

Et si je vous racontais Julie.....

Tout d'abord, situons Julie: c'est la mère de ma grand mère maternelle....

arbre G julie

 

Alors, voilà mon histoire de Julie....

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Je ne sais pas si on construit le futur avec notre passé…..

                                       …. Mais en tout cas, on le porte…

 

Julie Laurence, 1903

Ce matin, tout le monde sera triste. La voix de ma mère si présente, un peu trainante parfois, surtout ces derniers mois, ne me réchauffera pas….La lassitude se ressentait, la peur et la tristesse se mêlaient...Ce matin, je ne l’entends pas; elle a pourtant passé la nuit à veiller le corps de Papa et ses sanglots m’ont accompagnée toute ma nuit. .

A -t -elle encore assez de courage pour parler, pour me regarder, pour oser montrer ses yeux rouges et fatigués de tant de nuits à veiller, à dormir sur la chaise…

C’est Novembre, mais les gros nuages balayés par le vent d’ouest, sont partis et le ciel tout propre va nous glacer le sang. Ma robe noire, toute simple, est prête…A quoi je vais ressembler…je vais lui faire peur, lui qui aimait tant mon allure de « petite princesse »…sa fée des aiguilles…

Maman descend ; je l’entends…comment lui dire que je suis là, avec elle, comment lui montrer ma tendresse, alors que je sens comme un barrage dans son cœur…Heureusement, Marthe est là ; on sera toutes les deux pour se soutenir. Marthe, c’est comme ma sœur : mes parents l’ont adoptée il y a quelques années….Nous vivions sa famille et moi, sur le même palier rue de Courcelles, quand j’étais petite fille. On était toujours chez l’une ou chez l’autre…Sa mère était couturière …et son père charron. Ses parents sont morts lors de l’épidémie de grippe russe  de 1890. Cette pandémie a fait des ravages  à travers le Monde…J’étais petite et me souviens pas. Depuis, Marthe vit avec nous.

Le feu est ravivé …un grand plat de pot au feu cuit depuis la nuit…La famille va venir pour partager ce repas de fête…drôle de fête.

Il est encore doux de penser qu’il est là. Dans la salle à manger, dans son dernier nid, il se repose, lui qui était si fatigué, toujours… « Ma fée….viens là…  viens près de moi que je te vois, que je profite de toi, de ton odeur de fille …ma fille. »…Cette voix si franche, si tendre, mais si pleine de cette toux grasse ces derniers mois, qu’il ne pouvait à peine parler…à peine se plaindre …Son corps si mince si grand , si maigre me parait flotter dans son costume…Et pourtant, il est encore là…je me régale de le regarder…car ce matin, c’est fini…on va l’accompagner où il aura toujours froid….Et pourtant, tant de moments de quiétude, courts car le travail a habité notre vie…

Mon père est forgeron…toujours dehors ,dans le vent et le froid l’hiver, malgré la chaleur de la forge…des  courants d’air tout autour de lui…Quand parfois, je partageais son repas près de sa forge, on se blottissait autour du feu pour avoir chaud et ses rares mots prononcés, résonnent encore dans ma tête…un peu bourru mon père…Mais, j’ai goutté ces instants, à ne plus pouvoir les oublier ; comme si je savais que ces moments passés ensemble ne seraient pas éternels…Un jour, mais là c’était l’été dernier, il faisait très chaud autour de la forge il était rouge et suant sous sa raide tunique de travail ; mon père avait reçu une commande de fers à cheval par le maréchal ferrant de Clichy…celui qui ferre les chevaux de tous les laitiers, les croque morts et les diligences du bourg... Que de fers a-t-il fallu frapper et frapper encore pour que le maréchal puisse les utiliser plus facilement ! ….J’allais l’aider le soir à mon retour, simplement à les sortir de l’eau et les ranger…Mais, lui, il n’aimait pas cette tâche. Lui, était un spécialiste des outils fins et délicats. Pourtant, il acceptait tous les travaux, car  il faut bien manger. Mais ce qu’il aimait surtout c’était de créer les outils pour les maçons, les jardiniers et surtout les nouveaux cultivateurs qui multipliaient les jardins et les cultures à proximité de Paris …Il affirmait souvent : «  Paris doit manger ! » et il était fier de les voir arriver chez lui pour lui commander binettes, bêches et râteaux que les plus anciens leur avaient recommandé comme étant les meilleurs du coin. Bien sûr, ils avaient souvent englouti leurs maigres économies de pauvre travailleur pour louer un arpent de terre. Alors, pour les outils, « on verra plus tard … quand l’argent viendra », et Paris doit manger …

Alors, les rives de la Seine ont été aménagées en parcelles cultivables, pour éviter les inondations fréquentes qui emportaient tout… Depuis peu avant ma naissance, quand mon père était jeune homme, il était terrassier. Il  remuait des tonnes de terre pour créer les digues, les canaux d’arrosage et les chemins pour desservir les jardins et les exploitations maraichères créées à Clichy tout près de la Seine.

Souvent le dimanche il nous emmenait, ma mère, Marthe et moi, parmi les jardins des bords de Seine…Il les connaissait tous, ces jardiniers qui cultivaient tous les légumes pour les parisiens ; mais aussi les fleuristes qui soignaient les fleurs qui allaient colorer les plus beaux salons parisiens…J’avais toujours un peu peur, car les abeilles pullulaient au printemps, car les ruches étaient placées autour des plantations…Ma grand-mère dit souvent que l’île de la Jatte, toute proche, abritait des ruches par centaine et les abeilles venaient se nourrir dans les fleurs. De plus, l’Empereur Napoléon III, dans le milieu du siècle dernier, a fait aménager de beaux quartiers, où les peintres ont élu domicile …Nombre de toiles ont été inspirées par cette île… Maintenant, les cultures sont de plus en plus supprimées pour construire des usines, comme il y en a beaucoup le long de la Seine vers Clichy…Mais ces après-midi au milieu des fleurs, restent inoubliables…. Maman rentrait toujours avec un gros bouquet qui embaumait la maison ; elle adore la senteur de la rose de Puteaux…Ses couleurs pastelles  sont peu prisées des dames de Paris, qui préfèrent des rouges vifs plus à la mode…

Maman aime ces roses dont les origines anciennes dégagent des parfums délicieux. Elle sait que si l’œil n’est pas charmé, le nez, lui, est ravi…Elle est parfumeuse et travaille à l’usine, qui fabrique ces parfums utilisés par les femmes du « Tout Paris »…Elle aime ces roses, que personne ne regarde habituellement, car elles sont trop claires. Elles viennent de la variété des roses de Damas…Maman sait tout cela ! Mais, il y peu de rosiers à rose de Damas, à Levallois ; ils sont plus loin de l’autre côté de la Seine, dans les roseraies spécialisées des parfumeurs, vers le Mont Valérien.

rose de Puteaux

Offrir des roses à ma mère, était un grand honneur pour les clients de mon père, eux  les ouvriers de la terre, pour qui Papa fabriquait les outils mais il savait aussi leur réparer les angles brisés, les affuter pour que la tâche soit moins rude…Ce n’était pas rare qu’un gars vienne tard pour demander une réparation de l’outil qui taillait mal, ou une aide pour reprendre les manches…. Papa ne disait jamais non…

Maintenant, il est là…encore un peu avec moi…

Ma tante Laurence est là aussi, près de Papa…Elle est restée toute la nuit auprès de lui avec Maman. Elle est un peu la spécialiste  du bon Dieu. Elle est religieuse et est venue aider Maman… Le docteur est venu hier midi et après, Maman a arrêté la grosse pendule de l’entrée…Papa était mort, c’était sûr maintenant.

Et hier, elles nous ont mis dehors Marthe et moi, et nous ont envoyées chercher la Toinette pour les aider à préparer Papa, car toute la famille va venir lui dire un dernier « au revoir ». Papie Eugène et Mamie  vont revenir ce matin ; ils sont partis bien tard hier, tellement tristes  de notre malheur…

Maman est là et curieusement elle m’a pris fort tout contre elle, en me chuchotant des mots doux et des encouragements, comme si elle voulait les entendre, comme si elle avait aussi voulu que quelqu’un puisse les lui dire. Etrangement, le pot au feu sent bon…c’est Marthe qui le cuisine…Elle est souvent derrière les fourneaux.

«  Ton père aurait voulu que tous soient bien reçus dans sa maison…alors, bientôt tous vont être là, le corbillard va venir et on partira vers l’église. Après, on reviendra ici manger tous ensemble….Tu vas t’habiller maintenant…Marthe est déjà prête… »

Tout à coup, entendre cette voix claire, me donne des frissons…On n’a plus qu’elle ! Je viens de le comprendre avec effroi… Papa, il va partir. On va être toutes les trois….Seules ! Et les questions qui dansent dans ma tête…Vais-je rester ici…Qui va reprendre la forge de Papa ?...Pourrais-je continuer à apprendre la couture ?

Je suis arpette dans un atelier où je vois tellement de choses d’un autre  Monde, et je suis avec Juliette mon amie de toujours. Elle habite au fond de la rue Poccard… Le matin, elle vient me chercher pour partir ensemble à l’atelier. C’est chez Moline, un gros atelier, avec de nombreuses ouvrières. Il y en a qui fabrique les tissus…Moi, je suis dans l’atelier des robes de mariés…

écoleOn est surtout des jeunes filles. Moi, j’apprends. Enfant, j’ai fait mon école chez les Sœurs de la Providence de Portieux, à Levallois. Elles m’ont appris à coudre, et Maman m’a placée dans une maison de couture ! Je n’ai pas encore le droit de travailler sur les tissus soyeux  et délicieux qui coulent sous la main, pas encore le droit de coudre les calicots fins en damassés délicats. J’aime tellement les tissus et leur douceur sur mes doigts…En ce moment, on s’active sur les robes pour les premiers mariages du printemps. Madame Catherine, la chef d’atelier, dit que je suis douée, que j’apprends vite…J’aide à placer les épingles, quand les Dames viennent essayer leurs robes ou leurs habits cousus sur mesure ; je reprends les ourlets et les petits points doivent être invisibles… Parfois, je vais même chez les rupins du 17 ème, où ma patronne a des entrées…Je vais porter les colis, ou récupérer les tissus…Mais, depuis peu, j’ai le droit d’observer de temps en temps les plus habiles, à piquer les manches à la machine. Une SINGER est arrivée dans notre atelier…De l’autre côté de la Seine, il y a aussi des usines beaucoup plus grandes, mieux équipées. La patronne dit que cela devient difficile, mais que notre travail doit être sérieux et impeccable pour garder nos clientes. Des grands magasins comme le « BON MARCHE », vendent des vêtements tout faits, et pas sur mesure…Mais, les parisiennes chics préfèrent porter une pièce unique, originale et pour laquelle elles ont choisi le tissu !

 

Mais, comment allons-nous vivre ?...Chaque jour je rapporte 40 sous à Maman…Quand je serais couturière, je pourrais gagner au moins 2 francs par jour. Mais, encore au moins 3 ans à attendre… Chaque matin, Juliette, Marthe et moi partons à pied jusqu’au boulevard où se trouve l’atelier. C’est dur parfois, car le vent s’engouffre dans la rue de Courcelles et nous glace sous nos pèlerines ! Alors, depuis 2 ans, ma vie est ici,  mais aussi au milieu des ouvrières, des confidences et des chuchotements discrets pour se dire nos secrets. C’est ma vie à moi, même si souvent les mains font mal tellement on pousse sur les aiguilles pour aller plus vite, quand les chefs crient si un point est visible, si on ne va pas assez vite, si.…

Marthe, travaille dans l’atelier de broderie. Elle brode les corsets et aussi les ombrelles …Elle aime les points minutieux, la précision des arabesques. Elle a souvent les yeux qui piquent et le soir les doigts lui font mal

…J’entends tout à coup la voix de mon grand-père…Je dois descendre …Je vais rester auprès de ma mère…La charrette et le gros cheval noir sont déjà là. Le corbillard a ses mantelets noirs sur le côté.. Quand j’en croise, cela me glace le sang…On dirait un peu une charrette fantôme…Bientôt, ils vont fermer le cercueil et emmener Papa…Je vois son visage blanc, une dernière fois : il paraît si reposé… Maintenant je me rends compte qu’il ne tousse plus….

Toute la famille est là ……Mon oncle Charles qui aimait tant Papa, son beau-frère…Tous les deux, ils parlaient souvent de sport…Cette année, je n’ai pas arrêté de les entendre commenter la première grande course cycliste de tous les temps…Moi qui sait à peine faire du vélo !...En 1903,  premier « tour de France » !…Tous les journaux ont relaté les étapes…Il est parti de Mongeron, au sud de Paris, puis les 60 coureurs se sont dirigés vers Lyon et ont fait une boucle énorme de plus de 2000 kms en 6 étapes ! Mon père et mon oncle étaient emballés et dévoraient tous les détails de cette aventure unique…Les coureurs avaient des étapes longues et épuisantes, mais il y avait plusieurs  jours de repos entre chacune…Seulement 21 coureurs sont rentrés à Paris ; les autres ont abandonnés. Je me souviens de cet été dernier et de la chaleur de juillet …En fin d’après-midi, on poussait Porte de Courcelles et on guettait le vendeur du journal, «L’auto », qui donnait plus de détails sur la course que les autres journaux.  Papa ne pensait franchement pas que ce petit ramoneur venu d’Italie serait capable de gagner !

 Tout cela faisait un peu oublier la toux chronique de mon père, ses essoufflements, ses traitements et sa faiblesse …

Ma tante Marguerite est si triste. Elle, si élégante d’habitude, semble toute fanée…Le noir ne lui va pas bien ; elle est si pâle dans cette grosse robe noire toute empesée. Cela me rappelle comme papa se heurtait avec elle et sa sœur Laurence sur des sujets politiques… La loi sur la « séparation de l’église et de l’état », encore un nom que je comprenais mal,  allait bientôt être votée… Que de discussions en famille !... Des évêques ont protesté mais, l’Etat a tenu bon. Mon père mettait toujours ce sujet sur la table, au moment du café, dans les repas de famille…Souvent les femmes réprouvaient…Mais, moi, j’aimais bien l’entendre défendre son idée. Il n’aimait pas que les curés se mêlent de tout, c’est tout !...Mais sa sœur, religieuse, n’aimait pas que l’on plaisante de ces sujets…Mais sans être contre le clergé, mon père appartenait à l’aile gauche , comme il disait ! Les religieux n’ont pas à se mêler de la politique…Mon oncle Charles était encore plus virulent ! …Pour lui, les curés s’occupent des églises mais n’ont pas à donner de leçons de morale ! Les écoles sont communales et républicaines. J’ai eu la chance d’aller à l’école …Ma mère n’y a pas été si longtemps…Mon père, d’après ce qu’il m’a raconté, a juste eu le temps d’apprendre à lire et compter…Après il y a eu la guerre à Paris !

...suite dans quelques jours !

 

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Mes histoires de famille
  • Mes ancêtres ont tous une histoire. Ils sont partis avec, mais m'ont transmis une partie d'eux mêmes. Envie de rechercher, de témoigner, de transmettre par des histoires revisitées de leurs vies, et j'ai l'impression d'avoir une grande famille avec moi !
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