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Mes histoires de famille

19 novembre 2017

Et si je vous racontais Charles Guillaume...

CG

Charles Guillaume, juin 1924

Eh, mon fils ! Viens voir ton père !  Viens me montrer comme je peux être fier de toi ! Tu es grand désormais du haut de tes 16 ans …aussi grand que ton père ! Mais, il va falloir quitter Henriette, et devenir un homme, hein mon garçon !...

-          Je vais t’emmener demain faire la tournée de ma clientèle….Tu vas voir le travail de ton père !

  Joséphine et son fils Jean; 1912

-           Oui, Père, je viendrais avec vous.

-         Quitter tes livres et les jupes d’Henriette te feront le plus grand bien ! Ton frère est malade en ce moment et il ne pourra pas venir avec nous ! Miamia et Henriette veilleront sur lui ! On partira tôt demain matin pour voir tous les clients que j’ai à visiter !

Charles et Jean sont mes deux garçons ! Je pense que leur mère doit être  fière elle aussi, si elle peut les voir de là-haut. Joséphine, mon épouse…son joli minois s’estompe de plus en plus de mes souvenirs, et pourtant je l’ai bien aimée ! Sept ans déjà qu’elle dort au cimetière de la Chartreuse à Bordeaux. Il faudra que j’y amène les enfants d’ailleurs…Mais retrouver cette ambiance feutrée de la mort, parfois c’est au-delà de mes forces moi qui aime tant vivre !...Ah ça, on a bien vécu avec Joséphine !

On s’est connu début 1900….Elle était alors repasseuse et avait  déjà une fille : Jeanne, que tous appelaient Henriette…Elle était tout le portrait de sa mère d’ailleurs. Joséphine a eu une sacrée aventure, car après avoir eu une liaison avec un comptable, elle s’est retrouvée enceinte. Il a tout de même reconnu la petite au bout de quelques mois, car pour cet homme, il n’était pas question d’épousailles !

Alors, quand je l’ai connue, vivant dans un sombre appartement du 14 rue Dauzats à Bordeaux avec sa fille, j’aurais été un saligaud de la laisser après notre aventure !

Je l’ai en quelque sorte sortie du ruisseau en lui donnant la chance de créer une famille avec moi, et de quitter le statut de « filles-mères » !

Moi, j’habitais rue de l’Eglise St Seurin avec ma mère et mon beau père. On s’est rencontré dans le tramway électrique : une nouveauté très en vogue dans ce Bordeaux qui commençait le siècle dans la modernité.  Utiliser le tramway…c’était tout à la fois une curiosité et une expérience nouvelle!

Moi qui étais un cavalier, cela ne me semblait pas bien respectueux pour les chevaux ! Un cheval est destiné à la monte…. Les voir utiliser pour la traction des omnibus me faisait de  la peine …

On s’est connu ainsi car une voiture hippomobile avait tamponnée notre omnibus électrique : du coup, les voyageurs ont du être  évacué. Mais, heureusement, il y a eu  plus de peur que de mal. Avec l’augmentation du trafic sur les boulevards, les accrochages, sans grands dommages du reste, n’étaient pas rares !  C’est comme ça donc que je l’ai remarquée, la belle Joséphine, avec son sourire coquin, et sa jolie frimousse encadrée de  belles boucles brunes…Toute émue et un peu secouée par cette aventure, je l’ai ramenée jusqu’à chez elle … Et puis, ensuite, nous nous sommes revus. D’abord ce fut bien timide, on se voyait quand j’avais du temps, car mon métier m’occupait et les déplacements étaient fréquents. Mais, dans le courant de l’été 1900, alors que nombreux bordelais, sous le poids des grosses chaleurs du mois d’août, avaient déserté la ville pour les bains de la Gironde, je pus prendre quelques jours de repos. En effet, en août le commerce était  retombait toujours un peu.

 

Alors, on était parti avec la petite à Meschers sur Gironde pour une poignée de jours… Mon attirance pour elle est arrivée sans le vouloir, toute seule… avec la mer, le vent, la chaleur, son rire, quelques bains de mer…Ah son rire ! Si cristallin et qui «dégringole» comme un torrent à vous donner le vertige. J’ai succombé…à tout : Elle, la gosse, la vie, l’amour… Je ne pouvais plus imaginer de passer une nuit sans elle, moi le célibataire, j’avais trouvé ma «maitresse » !

On est resté ensemble plusieurs années et ma mère, bien sûr, voulut la connaître.

Je travaillais alors à Roubaix, à l’autre bout de la France, si loin de Bordeaux. Mais, le représentant de commerce que j’étais devait se déplacer, voir les clients et ma société en comptait  pas mal dans le nord.  

En décembre 1904, quelques jours avant Noël, on a enfin fait notre mariage ! Bah, à 38 ans, j’avais bien profité de ma liberté et puis Joséphine était une sacrée femme. On a fait une noce toute simple. Mes témoins étaient des amis d’enfance: on a tous grandi dans le quartier de l’église Saint Seurin : Camille Lévy employé de commerce comme moi ! On en a fait de drôles d’aventures Lévy et moi ! Plein de principes mon copain juif et le meilleur des hommes: jamais il ne m’a abandonné quand on rentrait un peu éméchés les samedis soirs ! Dire qu’on était voisin, lui vivait rue Nauville et moi, tout à côté rue de l’église St Seurin !

Mon second témoin c’était Albert Fabre commerçant de la rue Judaïque. Plus jeune que moi, c’est surtout son père qui avait veillé sur moi du temps de son vivant, moi qui avait perdu le mien à l’âge de  13 ans !

Quand même, quelle folie, moi qui n’avait jamais voulu passer à l’acte ! Le mariage, je n’en voulais pas, j’aimais trop ma liberté ! Je vivais avec ma mère et ça me convenait bien comme ça… Une sainte femme, Maman Anna, qui a été mon repère dans ma vie d’enfant et d’homme ! Mais, je n’ai jamais cherché à fonder une famille. Pas de frère ni de sœur et mon père est mort jeune et je ne garde  pas de souvenirs forts de lui. Ah si, quand même reste gravée une image dans ma mémoire : il n’était pas grand, souvent malade ….Et  puis un jour, je ne l’ai plus vu du tout !

Il était ferblantier, mon père et travaillait avec mon grand-père Guillaume, son père.

Enfant, j’ai beaucoup écouté ma grand-mère Jeanne, qui lui vouait une immense admiration…A l’entendre, c’était un homme très grand et imposant: une force de la nature qui menait son monde… Pas toujours facile, le bougre d’après Grand-mère Jeanne. Elle était d’une infinie douceur…Il l’adorait, la Jeanne, sa femme !... Tous l’appelait « Dame Jeanne »…Quelle belle marque de respect 

Ce nom la suivait depuis son Cantal natal, notre pays d’origine…Et puis, quelle femme : toujours gaie, et  de joie qui brillait dans ses doux yeux bleus ! Elle sentait bon la cannelle, ou plutôt l’odeur de toutes les potions qu’elle mettait sur ses mains et son visage flétri peut-être par les soucis. Dans la même année, en 1879, elle a vu mourir ses 2 plus jeunes fils, puis quelques mois après, son mari ! Et pourtant, même des années plus tard, à chaque fois que je venais la visiter, elle me racontait notre histoire, comme pour qu’elle se grave bien dans ma mémoire, comme pour que personne ne l’oublie après elle !

Quitter le Cantal pour Bordeaux fut tout à la fois, une rupture douloureuse, une déchirure,  laissant dernière eux les racines, le pays, les amis, les voisins, le travail… Que de peine…  Elle me disait qu’elle avait beaucoup pleuré ce jour-là, car partir sans savoir si elle reverrait un jour sa mère et son père…

A l’époque, on ne voyageait pas ou si rarement, et surtout pour des courts voyages…. Les trains n’existaient pas encore, les liaisons entre la campagne et les villes étaient longues, pénibles, fatigantes et onéreuses. Mais, l’exode, c’était le prix à payer, pour beaucoup de gens de la campagne… le prix à payer pour continuer à vivre, c’est à dire vivre autre chose, dans un ailleurs plus clément et, on l’espérait du moins, rempli de «d’un avenir meilleur» !

Elle et Grand père avaient  quitté le Cantal, le pays de la Famille. Saint Santin de Cantalès, Saint Paul des Landes, Nieudan : tous ces noms des communes du pays des parents résonnent aujourd’hui dans ma tête et rien que de les entendre ou de me les remémorer, font  monter les larmes dans mon cœur. Cette vie que l’on n’ a pas vécue mais que l’on porte en soit, en héritage. Oui, en héritage car je n’y suis jamais allé … Mais, quel courage pour eux ! Laisser les parents, leurs habitudes de paysans pour l’inconnu des grandes villes.  Et pour eux,  Bordeaux ! Quelle épopée cela a dû être ! Mes grands-parents ont quitté le Cantal car ils y vivaient mal. Plus d’avenir à la maison, et au milieu du siècle, ils ont quitté Saint Santin et sont partis à Bordeaux avec leurs deux enfants. Leur fils ainé Antoine et mon père Jean qui avaient une dizaine d’années…A Bordeaux, est né Pierre. Mon oncle qui fut maréchal ferrant, lui, est mort la même année que mon père… La même année, et la même maladie ! La phtisie….sale bête qui vient prendre sournoisement les hommes les plus vaillants ! C’est qu’il fallait travailler dur et ne pas avoir peur de l’ouvrage, des tâches lourdes pour les corps et cela par tous les temps, au froid comme au chaud, sous la pluie ou le soleil brûlant… Il fallait être fort et résister au rythme écrasant de la  grande ville !

Mon grand-père avait quelques économies, d’après ce que me raconta Grand-mère Jeanne… A Saint Santin, ils avaient vendu les quelques arpents de terre, sa terre, et puis aussi une maisonnette !

En arrivant à Bordeaux, il a tout d’abord été commissionnaire. Grand-mère, quant à elle, faisait des ménages. Ils se sont installés dans un appartement rue Fondandège à Bordeaux. Je les ai toujours connus là… Grand-mère Jeanne est morte 10 ans après mon père, quand j’étais aux manœuvres à Montguyon, pas très loin dans les « Charentes », et je ne suis pas rentré pour l’inhumation…je m’en voulais de l’abandonner, mais l’armée ne permettait pas de revenir chez soi en pleines manœuvres.

Mais tout ça, c’est du passé…. Mes enfants sont là et notre petite entreprise doit croitre pour qu’ils y trouvent une place. Le métier de représentant de commerce est une question de connaissances avant tout mais est aussi faite de rapports humains…Les liens se tissent, les paroles se donnent et les hommes les respectent. Construire un empire pour mes garçons, c’est mon ambition ! Leur laisser une belle place dans la vie, mais il faudra qu’ils se la fassent cette place, en acceptant les bons comme les mauvais côtés du métier. Jean est bien un peu lascif même encore à 18 ans, moins passionné que Charles, et c’est d’ailleurs difficile de le passionner ! il est plus coléreux et Charles, lui,  me ressemble, mais il a besoin d’acquérir les finasseries du métier en même temps que les qualités ! Je sens déjà un jeune homme courageux déterminé et qui a de l’ambition !...Mais l’avenir le dira !

Quand pense à ma vie, ce que j’ai construit, je comprends mieux comment tout s’est mis en place et m’a fait tel que je suis là, maintenant.

 

Je crois que mes plus forts souvenirs se situent à l’âge de mes 18 ans, avec la découverte du vélocipède !

 

Après la mort de mon père, ma mère et moi vivions rue de la vieille tour au centre de Bordeaux. J’étais déjà employé de commerce chez mon oncle. J’ai découvert ce fabuleux moyen de locomotion en côtoyant les jeunes du vélodrome de Bordeaux. Mais, ce sont surtout les courses qui m’ont permis de me dépasser. Il y en avait sur la route ou sur piste. Je me suis très vite passionné pour les petites courses régionales. On m’a remarqué à Dax surtout. Je les ai tous battus ! Tant et si bien que l’autre champion, Louis Loste m’a même mis au défi pour une course sur la piste d’entrainement du « Vélo Club Bordelais » à Saint Augustin….Ah la canaille, il ne supportait pas que l’on touche à ses prérogatives de champion. Alors, Je me suis entrainé comme un fou. Ma mère me regardait avec frayeur : tous les soirs après le labeur, j’enfourchais mon cycle et ne rentrait qu’à la tombée du jour. Je savais que sur la longueur j’aurais des difficultés. Je me donnais à fond !

Mes copains du club m’accompagnaient et voyaient en moi celui qui allait arriver à faire taire ce champion indélogeable… Mais, ça n’a pas suffi….Il m’a mis au défi, je l’ai relevé, mais je n’étais pas assez prêt ! J’ai perdu….Oui, j’ai perdu. Après cette histoire, on m’a même souvent cherché des noises, en m’accusant de tricher à chaque occasion d’une petite course où je me classais parmi les meilleurs. Les journaux comme le «  Véloce - Sport » ont bien dû démentir ces rumeurs. Certes, j’ai des défauts, mais je ne triche pas !

Je montais un « Humber ». Ce modèle était doté, à l’avant une petite roue directrice actionnée par un guidon identique à celui du bicycle et deux grandes roues à l’arrière. Il filait  à une bonne allure et ne pesait que 15 kilos: un record à cette époque !...

Un autre gars, Martet m’avait aussi envoyé un défi, non plus sur circuit, mais sur route entre Libourne et Mussidan. Là aussi, j’ai échoué. Bah, cette course s’est déroulée bien après mon entrée au régiment, et là, j’étais vraiment épuisé, trop fatigué pour « la gagne » ; l’entrainement et le régiment, ça n’allait pas ensemble !

Mes débuts militaires auguraient d’une belle carrière… J’étais rentré dans le 15ème régiment des dragons en octobre 1887. C’est un fameux corps qui fut créé par Louis XIV ! Matricule 2620 ! Je m’en souviendrais jusqu’à ma mort !...J’adorais monter à cheval et cet apprentissage ne fut pas compliqué pour moi… Mon oncle maréchal ferrant me faisait souvent monter sur les chevaux quand il les avait ferrés. Je n’avais aucune peur de cet animal et j’ai facilement appris à me tenir dessus !

Je gagnais le grade de brigadier dès 1888, mais hélas, alors que ma carrière semblait acquise, j’ai été blessé en août de la même année, lors de manœuvres à Montguyon. Mon cheval prit peur en allant à l’abreuvoir, fit un écart et me foula le pied. J’écopais d’une fracture du 4ème métatarsien du pied droit.

Après un arrêt de quelques semaines, j’ai réincorporé mon régiment début 1889, où je fus nommé dans l’année « Maréchal des Logis fourrier, » puis « Premier Maréchal des Logis »

l’année suivante. Mais, mon pied ne s’est pas bien remis, et j’ai basculé dans la réserve de l’armée active en 1890 : le métier de militaire se fermait à moi.  L’Armée l’a compris et j’ai été réformé en 1899 à cause d’une ankylose du genou droit !

J’ai aussi vite compris que le cycle et les courses  étaient finis pour moi…Entre mon âge et mon genou bousillé, ce n’était plus possible !

Mais le cycle demeurait toujours ma passion. Au début des années 90, après la fin du régiment, j’ai tenté ma chance en ouvrant une affaire de cycles, Cours de Tourny à Bordeaux. Mais, j’ai fait faillite. Visionnaire pour l’époque, il n’y avait en fait que moi qui y croyais. J’étais un précurseur, c’était  dix ans trop tôt !

Vers 1906, j’ai recommencé l’expérience et ouvert à nouveau un magasin. Maintenant les cycles se vendaient bien ! Joséphine et moi étions bien fiers de notre affaire ! Toujours située Cours de Tourny, la clientèle huppée de Bordeaux s’y pressait. La mode était aux promenades en bicycle. On avait même un commis qui assurait les réparations. Les cycles avaient besoin de réglages, d’entretien et pas grand monde ne savait le faire. Moi j’étais déjà prêt et compétent depuis longtemps ! 

La vie de famille commençait à me plaire et les enfants sont arrivés en 1906 et 1908…Henriette avait deux frères. Les enfants grandissaient, Henriette du haut de ses douze ans prenait des cours de chants et a eu même, vers ses vingt ans, le privilège de parfois chanter au Grand Théâtre de Bordeaux… Cela a duré jusqu’à la déclaration de la guerre en 1914.  Les affaires chutèrent très vite, le commerce ne marchait plus ! Les cycles n’étaient pas la priorité, surtout  pour les pauvres gars qui partaient à la guerre. Le pays paraissait en panne. Moi, j’avais de la chance : réformé en 1899, il n’était pas question, qu’à presque 50 ans, je parte au front.

En 1915, Joséphine est « partie » !

Et je me suis retrouvé seul avec mes deux garçons et Henriette. J’ai ramené toute ma famille auprès de ma mère et de son nouveau mari, Papy Henri, comme l’appelaient Jean et Charles. Ça n’a pas duré car l’année suivante c’est Henri  qui est allé remplir le caveau familial !...On s’est retrouvé alors avec Maman… Henriette était irréprochable, et manifestait beaucoup d’amour pour ces deux petits sans mère. On avait une bonne qui faisait toutes les emplettes et la cuisine. Malgré tous ces évènements tragiques, je dois dire que nous avons vécu des années douces, juste avant la disparition de ma mère et jusqu' après la guerre…Elle s’est endormie dans un sommeil sans retour un soir de janvier 1919…Ma pauvre Maman, qui a perdu ses deux maris…

Mais je suis satisfait car les enfants et moi sommes restés avec elle jusqu’à la fin…C’est trop sinistre et si désolant de voir ce qui se passe maintenant… Tant et tant d’enfants quittent leurs parents et les laissent vieillir, dépérir, seuls, abandonnés, seuls dans  leur souffrances, leurs douleurs dans le froid de la vieillesse  .Quelle tristesse !

Après sa mort, nous avons quitté Bordeaux. J’ai fermé le magasin, et vendu tout ce qui pouvait l’être. Ce fut un crève-cœur pour tous. Je me souviens très bien de notre visite au cimetière de la Chartreuse, les enfants, Henriette et moi…Ce fut pire que les visites régulières que nous faisions tous les mois. C’était comme si on les abandonnait comme des inconnus, qui n’auront plus de visite, de pas qui s’arrêteront devant leur dernière demeure.

Qui viendra les voir désormais ? Qui leur rappellera les bons mots, les blagues et les souvenirs heureux que nous avons vécus ensemble ? Qui entretiendra la tombe ? Il a fallu que j’explique aux garçons que leur mère sera vivante tant qu’ils penseront tous les soirs à elle. Même si cela ne change rien pour elle maintenant, au moins les enfants seront un peu moins tristes, enfin je l’espère…

J’eus l’opportunité de monter à la capitale car  un emploi de représentant de commerce chez Peugeot s’offrait à moi… La société cherchait un représentant qui connaisse le domaine du cycle à fond. Les garçons devenaient grands et continuaient encore de suivre l’école. Heureusement, Henriette veillaient sur nous tous… J’ai dû, non sans déchirement, vendre la maison de ma mère, et cela nous a aidé pour trouver à nous loger à Paris. Des connaissances parisiennes au sein de la grande famille des professionnels du cycle, m’ont aidé à trouver un appartement et la famille a emménagé en 1920 au 48 Boulevard Raspail.

Le sixième arrondissement n’était pas rupin, mais un «beau» quartier tout de même pour « démarrer » dans la capitale. De plus, pour les garçons, de bons lycées étaient assez proches de notre nid...

Hier matin, on est donc parti Charles et moi. C’était tôt, vers sept heures, et on a pris l’automobile que la société me prêtait : c’était une Peugeot 25CV affublée d’un moteur six cylindres qui sortait de l’usine de Sochaux ! Quelle fierté ! On a donc commencé par passer à la Direction Générale de Peugeot, sur les quais de Passy. Il me fallait vérifier quelques données sur les stocks disponibles de nos cycles : Charles était très surpris de voir que tout le monde, secrétaires et hommes de magasin me connaissaient ! Ensuite, on est parti pour les magasins de cycles parisiens qui faisaient partie de ma clientèle.   

J’ai une certaine chance : c’est le printemps, et les ventes vont augmenter. L’entreprise vend quand même 62 000 bicycles par an ! Alors, il faut voir les vendeurs, mais surtout bien les accompagner dans les différents modèles à conseiller à la clientèle. Un client satisfait recommande toujours son magasin et surtout sa marque de bicycles ! Pour les hommes et les dames, ce ne sont pas les mêmes modèles, et pour les sportifs il y a encore d’autres modèles différents.

Lors de mes visites des clients, je montre aussi les toutes nouvelles pièces détachées, les pneus ou les petits accessoires « tout frais » sorti de la production de l’usine… Les magasins ont fleuri dans la capitale, et même derrière la petite couronne !

 

Depuis les débuts du «Tour de France» en 1903, une vingtaine d’années maintenant, la mode du cycle n’est plus à démontrer. Les parisiens s’en servent pour aller à l’usine, faire leurs courses, se promener et plus simplement  pour se déplacer plus vite d’un point à un autre.

Certains les utilisent pour la promenade du dimanche, le long des boulevards et pour rejoindre les bords de Seine.

Charles a eu l’air ravi de sa journée : c’est un passionné et j’en suis ravi. Il à l’âge de travailler maintenant mais j’hésite. Après l’été, soit je le fais rentrer dans l’entreprise, comme commissionnaire, soit je le laisse poursuivre ses études. Je suis encore indécis mais il n’est pas très virulent dans les études et la pratique vaut toutes les théories….Il me faut y réfléchir, et j’ai tout l’été pour cela….Déjà, en juillet, les deux garçons vont rendre de menus services aux magasiniers de l’usine. Ils seront coursiers et cela va les former à ne plus languir sur les bancs du lycée…De la pratique, que diable !...Mais Jean a un caractère trop coléreux et rebelle : l’été dernier il n’avait pas terminé sa besogne…peu diplomate et pas tellement capable de travailler avec d’autres, je crains qu’il ne puisse pas s’adapter au travail à l’usine…

En Août, nous retournerons à Bordeaux, c’est décidé. Nous ne sommes pas retournés sur le caveau depuis deux ans. Nous resterons quelques jours chez les cousins Fouquet qui habitent près de la Gironde. Cette année, je pense que le train nous y mènera car un voyage aussi long en automobile serait trop pénible à supporter, surtout pour les femmes…On part avec Henriette et les garçons. Ah Henriette….  Aurais-je honte de me retrouver devant la tombe de ma femme ? Parce qu’ Henriette et moi avons une histoire depuis quelques mois… On reste discret, c’est ma condition ! Les garçons ne semblent pas s’en rendre compte. Et elle m’adore Henriette… Je me suis senti un peu gêné au début…Mais, qu’est ce qui est le mieux pour mes gars ? Que je leur ramène une belle mère qui ne les aimera pas ? Est-ce une si grosse trahison que de se trouver avec une nouvelle femme dans sa propre maison ? Certes, elle est encore bien jeunette, mais cela n’a pas que des désagréments : Henriette a la trentaine et moi, j’ai le double de son âge… Elle n’a pas le tempérament de sa mère mais a d’autres qualités et aime aussi diriger sa maisonnée. Sa présence est réconfortante, apaisante et me fait du bien,  ; du coup, je ne m’occupe plus de la maison, et cela me laisse du temps pour mon métier… Je suis bientôt vieux, mais c’est son choix …Elle n’arrête pas de me dire que je suis «un être d’exception» et que je suis «le grand amour de sa vie» ! Alors, respectons-la et nous pourrons continuer d’être heureux !

Epilogue

Charles Guillaume est mort en 1947 après cette terrible période de la seconde guerre mondiale et la division des amis selon leurs opinions et le camp que chacun avait choisi…Pétain ou De Gaulle…Il vécu rue Massenet, entouré de celle qui fut toujours auprès de lui Henriette, sa maîtresse et son admiratrice, son fils ainé Jean et Miamia, la sœur de Joséphine.

Jean et Charles reprirent les activités de leur père. En 1945, Charles son propre fils, sera jugé pour avoir choisi le camp de la « collaboration » …ce fut une collaboration qui se limitait à un commerce de bicyclettes… Pendant la guerre, il fut ami de bien célèbres collaborateurs : l’écrivain  Robert Brazillach, qui fut fusillé après un  procès rapide et expéditif  en février 1945. Il passera un peu plus de 2 ans en prison à Fresnes. Il y était avec son  grand ami Jacques Schweitzer, militant d’extrême droite et Président des Jeunesses Nationales. Lui fut ensuite gracié et les deux hommes ont entretenu une longue amitié après la guerre. Leurs familles se rendaient visite régulièrement, et ils passaient des vacances parfois ensemble…

Charles, son fils préféré, a épousé la belle Anne Marie en 1934…une jolie fille de Brunoy issu d’une ancienne famille noble, qui avait une classe naturelle qui la rendait très séduisante et intemporelle. ..Mais, pendant la guerre, sous le poids et l’influence familiale le couple a vacillé: Charles eut une aventure avec Paulette, une voisine du dessus, et Anne Marie quitta Paris avec son fils Bernard, pour rejoindre Nice où vivait sa mère. Charles divorça après la guerre, se remaria avec Paulette, qui semblait adoubée par Henriette et Charles Guillaume …car elle paraissait plus facile à manipuler dans le sens de leurs intérêts…

Jean, son autre fils, est parti travailler en Allemagne et a adhéré à la doctrine nazie. Il est rentré en France et s’est caché au dernier étage rue Massenet, dans la chambre de bonne…Il n’a jamais été jugé.

Mais Paulette fut une femme douce et déterminée qui a bien réussi à garder son mari, et à vivre une vie bien à part du clan, avec leur fille Anne Marie née en 1942…Par contre, Charles versera  une pension toute sa vie à Henriette qui fut tout à la fois sa demi sœur, sa seconde mère et sa pseudo belle-mère !  Charles qui fit sa carrière en qualité de représentant de cycles multi cartes, a toujours rêver de devenir Médecin… Peut-être parce qu’il aurait tant voulu sauver sa mère ! C’est sans doute celui qui a le plus souffert de sa disparition précoce. Celle-ci portait toujours un gros bijou avec une pierre verte et le chiffre « 13 » en porte bonheur. Il ne supportera jamais, ni cette couleur ni le chiffre 13 !

Charles Guillaume et Henriette reposent ensemble dans le caveau familial à Bordeaux

Lors de la mort de Charles, Paulette réussit à le faire exhumer quelques mois après son décès, pour que son corps repose  loin du clan TREPS…Mais les tombes sont bien proches et le caveau familial accueille aujourd’hui, dans l’ordre:

TREPS Jean inhumé le 20 juillet 1880 (père de Charles Guillaume)

PICQ  Antoine le 6 juillet 1884 (père d’Anna)

FOUQUET Anna veuve TREPS le 23 Novembre 1915 (Joséphine)

GRENIER Henri le 16 octobre 1916 (second époux d’Anne PICQ)

PICQ Anne le 9 Janvier 1919, veuve GRENIER (mère de Charles Guillaume)

TREPS Charles Guillaume le 31 Octobre 1947

CABANNES Jeanne le 10 Juin 1983 (alias Henriette TREPS)

 
   
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19 novembre 2017

Et si je vous racontais Baptistine?...

baptistineC'est la mère de mon arrière grand père maternel

Baptistine -  1884

Au soleil de cette fin d’été, je marche le long de la grand rue de Ste Croix. On m’attend pour préparer le repas des vendangeurs. Je me presse, mais je me sens si lourde et mon ventre  si  bas ! Bientôt mère !...Cette pensée m’arrache des sourires mais toujours avec une certaine amertume…

Et Ste Croix s’étend devant moi : je descends du haut du village, de la maison de l’aubergiste où nous logeons Auguste et moi. Quel doux plaisir que de descendre cette rue étroite emprisonnée entre les maisons de pierres qui me protègent du soleil ! Le souffle du vent d’ouest s’y engouffre, et je me sens plus légère ! C’est comme s’il me poussait vers le bas du village, comme si je volais !...Ici,  le pays est plus chaud que chez moi, moins venteux qu’à  La Touche…Ce n’est pas si loin et pourtant si différent ! On ne voit pas le Rhône d’ici, et on est comme étriqué dans ces montagnes. La Drôme passe au bas du village, tout près de la montagne d’en face ! La Drome y coule à gros débit : elle est si vive et la nature  exagérément sauvage ! On est dans les monts du Quint, accolé aux plateaux avant du Vercors. Ah, que ce fut dur de quitter mon pays, la Drome provençale… même si j’étais avec Auguste, mon mari. On est marié depuis le début de l’année.  Mais, nous nous connaissons encore bien peu….Nous sommes arrivés ici il y a quelques mois grâce à mon frère qui y vit avec sa famille : sa femme, Paul Elie et les 2 jumeaux, 2 bambins, tout jeunes d’à peine 1 an... Il avait quitté depuis quelques années La Touche, pour vivre dans le pays de sa femme à Ste Croix. Ils vivent chez M’sieur Paulin, le père de Zélia, un fermier du village...  Pour finir la voie ferrée, il manquait des bras pour construire les ponts et les viaducs, mais aussi les murets qui bordent les voies. Autant de kilomètres de voies et autant de murets et de murs de soutien, des fois que les pierres tombent sur la voie ! Ici, la montagne est raide, pentue, et très rocailleuse. Maintenant, la voie de chemin de fer entre Crest et Die est presque terminée. Auguste y travaille tous les jours ; il faut la finir car son inauguration est prévue au printemps : en ce moment, ils sont sur la fin de la construction des murs de renfort entre St Auban et Die, la voie sera bientôt finie et les trains vont changer la vie des  pays !

Sainte Croix, début du 20 ème siècle

Les trains m’ont toujours intriguée, du plus longtemps que je les ai vus ! Il  y en avait déjà quand je vivais à Montélimar. J’ai pris le train une seule fois pour rejoindre Valence, avec mes amies. La gare fonctionne depuis 1854 …Je suis née un an après ! J’ai passé 4 ans dans ce bourg et on allait souvent voir passer les trains, quand on avait congés. On adorait, en jeunes filles curieuses et riants de tout, voir ces grosses machines bruyantes et fumantes arriver en gare. Quelle force ! Quelle puissance…et des odeurs de charbon brulé, de mécanique chaude et de vapeur d’eau usée... Les chauffeurs étaient tout noirs de suie, mais si séduisants, aimables, toujours prêts à nous sourire, quand après la gare, on se faufilait pour leur agiter notre mouchoir en guise d’au revoir !

Curieuse ironie : je suis mariée à un ouvrier du chemin de fer, moi qui aime tant les trains, et tout le charivari autour des locomotives, des rails et de la vapeur qui s’échappent des cheminées et des soupapes autour des roues, avec des cris de dames effarouchées, si fières de trainer tous ces wagons !...

Allez, je rêve sur mon passé … Pourtant, je suis une jeune mariée : une fille de 30 ans, ce n’est pas facile à trouver épousailles, et  par-dessus tout quand on est veuve ! Nous avons fait la noce en janvier, car le travail promis à Auguste nous forçait de quitter vite La Touche pour Ste Croix. Et puis, c’est tellement plus facile d’avoir tous  ses proches, l’hiver. En cette saison il y a moins d’ouvrages dans les champs, ou dans les vignes. Auguste est du pays de Portes en Valdaine, le village qui jouxte la Touche, tout prêt de chez moi.

Il y a plus d’un siècle, du côté de la mère d’Auguste, les « Mirabel » étaient les châtelains de Portes. Ils descendaient d’une famille qui a comptée dans le pays. Ils étaient marchands de soie, avant de devenir les « maîtres » du village. Mais depuis la révolution, ils ne vivent plus au château…et vivent de la terre. Ils ont quelques hectares et sont propriétaires de belles parcelles de vigne.

Par contre, du côté de son père,  tous les enfants  étaient maçons. Mais surtout, depuis des générations ils étaient de la religion de la réforme… Ils viennent du fond de la Drôme, dans les montagnes des Couspeau. Sa grand-mère venait du Poët Laval, un des villages perchés, comme on les appelle…Des paroisses qui étaient passées à la réforme il y a plus de 300 ans. Les gens vivaient très soudés entre eux, souvent cachés sauf quand ils étaient regroupés dans certains villages.

Auguste est catholique, comme ses parents et grands-parents. Pour notre mariage, on s’est uni à l’église de Portes. Mon père n’était pas peu fier de me conduire à l’autel, lui qui avait bien eu autant de peine que moi, il y a 5 ans quand j’ai perdu mon premier mari !… Mais, en sortant de l’église, le vent du Nord avait balayé les nuages et le froid avait fait place à la douceur sous le soleil. Le vent  soufflait un froid vif et en janvier, ce soleil réchauffait à peine mon corps tremblant sous ma robe. On a fait la noce à La Bégude à l’auberge des Pourtier. Après la messe, on est tous partis en chariot à bancs…sauf nous, transportés en fiacre ! Que n’aurais-je donné pour  ne pas abimer ma belle tenue  !... Mon promis avait même accepté que ma robe soit une jupe « de la ville » qui changeait de celles que nous portions traditionnellement. C’est Auguste qui me l’a offert…Chez nous, c’est la coutume. Et moi, je lui ai offert sa chemise : une belle chemise blanche avec des petits boutons blancs, qu’il a mis sous son gilet noir…Quant à moi, c’était une robe blanche avec une jaquette près du corps, garnie de boutons nacrés sur le devant qui couvrait le départ à la taille d’une longue jupe blanche parsemée de points grèges très fins.

Un voile léger sur mes cheveux ramassés juste derrière le cou. Une étole blanche et beige assez épaisse me permettait de ne pas avoir  froid.

 

Menu de Mariage

Baptistine et Auguste

19 janvier 1881

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Consommé de volaille

Bouchées à la Reine

Filet de sandre en sauce royale et ses cardes

Poularde à la régence sauce française

Ravioles au fromage de Romans

Gaufres garnies de plombière

et

gelée d’abricots confits

 

 

 

 

C’était bien rare pour moi de monter en fiacre : mais le maire de Portes en possède un  et c’est un grand ami de la famille d’Auguste... Heureusement, La Bégude n’est pas loin !

A l’auberge, ce fut un menu simple, car on n’est pas riche mais je m’en lèche encore les babines ! … Mes amies de Montélimar étaient venues partager mon bonheur…Elles étaient montées avec l’épicier qui venait de faire provisions de marchandises et qui avait bien voulu les amener ! Quels rires en les voyant toutes les 3 serrées sur le banc à l’avant de la charrette avec l’épicier de Portes!  On les a faites dormir chez ma tante. Toutes les quatre timides au début de la soirée, on a vite retrouvé nos habitudes : on aurait dit des jeunesses ! Elles ont été impressionnées et pleines d’envie par la beauté et la finesse  de ma robe. Clotide Barthale la couturière de La Bégude de Mazenc avait fait des merveilles ! Clotide est à peine un peu plus âgée que moi. Après la mort de Maman, elle m’avait confié plusieurs ouvrages durant quelques années …Elle a fait tout son possible pour me confectionner une belle robe, et pas chère…Elle était bien heureuse de me réaliser une robe avec une tournure comme à la ville !

Mon mariage nous rappelait nos années d’amitié à Montélimar. C’est vrai qu’on a vécu tant de moments de complicité ensemble, durant les 4 ans que j’ai passé là-bas. J’avais été placée comme ménagère puis comme aide à la cuisinière dans une maison bourgeoise. C’est là que j’ai connu mes amies….Le dimanche après-midi, on se promenait sur les allées près de la gare: on adorait aller guetter les trains qui s’arrêtaient  en gare. C’était tellement nouveau pour moi, qui sortais de mes collines !

On était une petite poignée de filles, plus tout à fait des jeunesses, mais on se retrouvait le dimanche après midi, souvent le seul moment d’évasion  après un dur labeur de la semaine ! Il y avait Marie-Henriette, une fière ardéchoise, qui travaillait au linge de la maison où j’étais employée en cuisine. Elle vivait sous les toits et n’avait pas de famille à Montélimar : sa mère habitait Lussas, entre Aubenas et Montélimar. Son père, lui,  était mort. Une fille douce, courageuse, qui trimait dur dans la chaleur de la cave quand le linge bouillait dans la grosse lessiveuse et au froid des lavoirs quand il fallait aller le battre, le rincer et l’étendre dehors. Elle habitait maintenant à Aubenas. Elle était veuve elle aussi…On s’était connues et on s’était entendues tout de suite.  Une grosse partie de son salaire était pour sa mère ; on gagnait presque 2 francs par jour, et il fallait payer encore nos repas…autant dire qu’il ne restait pas grand-chose à envoyer aux familles !...Maintenant, Marie-Henriette est promise ! Elle va se marier l’an prochain, avec un cultivateur d’Ucel, juste à côté d’Aubenas. Elle avait quitté Montélimar en même temps que moi, pour  se rapprocher de sa mère, plus bien vaillante, trop fatiguée. Elle était ménagère et travaillait sans répit.  Mon amie avait trouvé embauche dans une usine de soie, comme ouvrière. Elle pensait être plus libre ! Quand elle est venue à mon mariage, elle avait déjà décidée de quitter l’usine après s’être mariée…

Elle préférait retrouver la terre de son enfance, les champs et la liberté !

 

       

Et puis il y avait Joséphine, ma grande amie, si grande à côté de moi, et si mince. Toujours rieuse : un air de fête à elle toute seule ! Joséphine venait de Romans et c’est elle qui m’a appris à fabriquer les ravioles. En effet, elle avait travaillé au café Gélibert, place de l’hôtel de ville. Elle était même bien copine avec la fille des cafetiers, Marie Louise. Joséphine et Marie Louise se retrouvaient en cuisine : c’est comme ça qu’elles ont appris ensemble les différentes recettes de ravioles. La base est toujours la même, on y mélange des légumes pour confectionner une farce qui trouve sa place dans un écrin de pâte à base de farine, d’œufs et d’eau. C’est délicieux et au début du siècle c’était un plat de carême, sans viande. Pas bien cher à cuisiner, dans les fêtes, c’est aussi bien pratique : tout le monde aime ce plat  populaire. On y ajoute souvent du fromage des Alpes, pour accentuer le gout de la farce et on les cuit dans un bouillon de poule au pot, et ça, c’est un pur délice ! Même des « raviolleuses » sont spécialistes, et dans les grandes villes ou les gros bourgs, elles vont de maisons en maisons pour préparer  les « grosses » de ravioles. Une grosse, c’est douze douzaine de ravioles…Pour les fêtes, on compte souvent 1 grosse pour 2 hommes ou femmes !

 

Allez, me voilà maintenant arrivée à l’auberge…Le raisin était prêt à cueillir depuis 2 ou 3 jours. Mais les équipes étaient encore du côté de Die. Hier soir, une douzaine d’hommes s’est annoncée pour ce matin. Les patrons préparaient depuis plusieurs jours les hottes et les foulons, repéraient les parcelles les plus mures. La clairette est née et cela fait bien longtemps qu’elle est fabriquée ici ! Depuis les romains c’est devenu une tradition, mais bien avant, on raconte que  des gaulois avaient un jour abandonné des jarres remplies de vin dans une rivière un hiver durant…Après les avoir redécouvertes au printemps, ils dégustèrent un vin pétillant délicieux. Enfin, ce n’est peut-être qu’une légende ! Depuis des générations, les vignobles sont là, et que ce soit pour faire du vin ou de la clairette, les vendanges ont lieu, et c’est la fête !... Même pour moi qui vais faire le repas avec les autres femmes, c’est un peu la fête ! Le raisin ne tourne pas la tête que dans les verres : c’est aussi tout ce monde, tous ces hommes qui rient et plaisantent après l’effort  sous le soleil de notre midi !

Et moi, au soleil du matin, je reprends avec plaisir le chemin de la maison Serre. A chaque fois que Madame Louise a besoin d’aide, je gagne quelques sous à me mettre aux fourneaux. Ma tante Catherine, je crois que je l’ai toujours vue derrière ses fourneaux. J’adorais trainer dans la cuisine car il y faisait chaud, et les odeurs remplissaient autant mon ventre que mon imagination… Je crois que j’ai tout compris en la regardant : elle cuisinait les spécialités provençales  C’est elle qui m’a tout appris de ma vie de fille… Ma mère, je l’ai perdue quand j’avais 7 ans. : je n’ai presque plus de souvenirs d’elle, juste son sourire qui me revient parfois dans mes rêves. Comme elle m’a manquée…Je ressens encore la souffrance de la disparition. MA mère….si belle quand elle souriait ! …si tendre et rouspéteuse à la fois ! J’aimais sa tendresse même si elle pouvait être rude et qu’elle m’appelait souvent pour l’aider… J’avais peur que mon père veuille quitter notre village ; il se louait dans des fermes et parfois il partait pour plusieurs semaines. Alors, que serions-nous devenus, nous ? J’avais mon grand frère : nous sommes si complices ! Et puis, au fil des mois, des conversations entre ma tante et mon père, j’ai compris que l’on resterait à la Touche….. Ce n’était quand même pas tout perdre. Sans maman, pas facile pour mon père, de s’occuper de ses 2 enfants  et de travailler. Je n’étais qu’une petite fille, mais quand on s’est retrouvé tous les 3, notre vie s’est partagée entre la maison et celle de ma tante, sa sœur. Quand papa partait travailler, elle nous récupérait très souvent, c’est comme si on avait 2 maisons… ! On se connaissait tous au village  là où j’étais née. J’y avais mes souvenirs d’enfants dans les rues et dans les champs, quand j’accompagnais mon père, ou que j’allais lui porter son repas le midi dans les terres arides des collines de la Drôme provençale…Pour Maman, ma déchirure, c’était quand on a dû la laisser seule…seule au cimetière. J’ai tellement pleuré : je voulais rester auprès d’elle. Elle n’était pas toute seule au cimetière : pas tout à fait, car Pépé Paulet était aussi là avec elle. Je ne l’ai jamais connu le père de mon papa ; il est mort bien avant ma naissance. Et après c’est le père de Maman qui l’a rejointe : je m’en souviens bien car j’avais presque 20 ans…Mon papy était vieux : César, un sacré grand homme ! Il est mort si  âgé qu’on se demandait s’il ne vivrait pas toujours. 85 ans !

 

 

Mon père a tout fait, pour gagner de quoi nous faire manger. Il se louait dans les fermes : le plus souvent, il cultivait l’ail. En effet, dans  tous les plats, les cuisinières de Provence ajoutent de l’ail qui nous régale de saveurs. Au marché, après l’avoir fait sécher, les marchandes le vendent en fabriquant de belles tresses blanches et rosées. On dit toujours que c’est une très vieille culture de notre pays et que nos variétés donnent une texture moelleuse, un gout légèrement sucré… J’ajoute toujours de l’ail dans les plats de viande que je prépare et les hommes aiment ces goûts forts qui font ressortir les saveurs des légumes. Maintenant, mon père ne peut plus guère travailler. Il s’est remarié en début d’année avec Rose, avec qui il vivait depuis quelques années. Mais, le curé, il n’aimait pas bien cela. Cela ne nous a pas empêché de faire alors une belle noce, en avril dernier. Mon frère était si content de venir à la noce, avec ses 3 enfants : Paul Elie qui a 4 ans, et ses 2 jumeaux Albert et Gustave …. J’étais si heureuse de voir François et Pauline Zélie, sa femme, si fiers de leur marmaille ! Pour l’occasion, je me souviens bien, ma belle-sœur avait cousu de belles chemises avec une toile à rayures blanches et bleues pâle à mon frère et leur plus grand fils. Les 2 petits ne marchaient pas encore et sont restés très sages toute cette journée : ils étaient tous si beaux sous le soleil printanier. l

On était tous retournés à la Touche pour cette belle noce. Le banquet que les femmes avaient préparé dehors dans le pré du voisin a accueilli toute la famille. Le beau temps nous a accompagnés toute la journée, et mon père était si heureux, surtout quand je lui ai appris que j’allais lui donner un nouveau petit enfant ! Mon père ressemblait plus à un grand père qu’à un marié ! C’est qu’il va sur ses 70 ans le bougre ! Mais, il est encore très élégant. Son costume noir et sa belle chemise blanche à grands plis lui donnaient une sacrée allure ! 

Ce matin, je marche un peu plus lentement, car depuis une semaine la Juliette, la matrone du village, m’a dit que c’était pour très bientôt. Je suis grosse de mon premier enfant avec Auguste, et il ne veut pas que je m’épuise. Je ne suis pas une jeunesse, c’est vrai … Comme le temps s’enfuit, comme Germain, mon premier amour  me parait loin !  

Ma jeunesse est partie avec sa mort. Un si bel homme ! …Germain, c’était mon rêve d’adolescente, un amour fou et si bref !...Ah, tous les sentiers autour de Portes connaissent bien nos soupirs, nos rires et nos chuchotements d’avant notre mariage ! Je crois que c’est cela qui reste dans mon souvenir : on s’était choisi !

 

Quelle douleur lors de sa mort….Tout le monde me dit que c’est loin maintenant et qu’il faut que je pense à mon enfant qui va naitre cet automne. C’est vrai, cela fait déjà 6 années. Mais, je ne peux pas oublier l’amour de ma vie, celui que j’ai aimé en premier !...

Germain était un jeune homme pas très grand, les cheveux châtains, des yeux gris bleus un peu tristes, une jolie bouche qui éclairait  un visage ovale  au grand front. Il souriait toujours doucement, si  tendrement que cela me touchait tout de suite ! Il parlait toujours calmement, presque avec timidité. On s’était connu au bal. Il était maçon et travaillait dur pour construire des granges, réparer les maisons, reprendre les murs des chemins. Il était copain avec mon frère car ils s’étaient connus au régiment. Vite, … trop vite, on a vécu tous les deux un grand amour…Quelle chance on avait de se plaire ! Pas comme la plupart de mes amies qui devaient épouser un promis, que leur famille leur imposait…comme pour moi qui ait épousé  Auguste, le frère de Germain, en secondes noces. Il y a un peu plus d’un an, mon père m’a fait comprendre que je ne devais pas rester seule. J’avoue que j’aurais bien continué ma vie à Montélimar ! On travaillait dur dans les maisons bourgeoises mais on avait droit à des moments de sortie. L’ambiance entre filles était pleine de secrets, de promenades parfois, de rires et de complicité. On était en ville, et le travail était moins dur que dans le froid et le chaud des campagnes, quand on trime aux champs.

Mais, je dois quand même suivre la famille et je ne peux pas me plaindre, ils sont tous attentifs avec moi  et je les connais bien.

Germain et moi habitions au hameau de Garmonet, non loin de Portes en Valdaine. On vivait dans une toute petite maison, un petit chez nous… Germain est mort un an après notre mariage et surtout 3 jours après la naissance de notre petit Hilaire : un échafaudage est tombé à cause du vent du Midi et il était dessus! Il est mort après deux jours de souffrances et il n’y avait pas d’issue… Je me souviens encore de ses lèvres brulantes que je caressais de mes doigts attentionnés ; sa tête avait une grosse bosse, un énorme pansement et il souffrait avec un grand courage. La voisine lui faisait des potions, car le médecin l’avait visité rapidement et n’avait pas donné d’espoir. Il a perdu connaissance et  la douleur s’est estompée avec sa vie…jamais je ne le reverrais !…

J’ai donc abandonné la petite maison pour rejoindre mes beaux-parents, avec mon bébé. Mon seul espoir c’était que ce fils lui ressemble ! Mais, Hilaire était fragile et s’est éteint en septembre…6 mois, mon bébé…

Me voilà à nouveau enceinte, et le père de cet enfant est le frère de Germain. Si j’ai un peu de chance et si Dieu veut bien m’entendre, ce sera un garçon et il lui ressemblera !

 

Epilogue

Les 2 petits garçons de Pauline Zélie et François, le frère de Baptistine, ont été emportés par une grippe entre octobre et novembre 1884, juste après la naissance de Jeanne, la petite fille  de Baptistine et Auguste, née le 12/09/1884 à Ste Croix .

La voie ferrée entre Crest et Die fut mise en service le 1er septembre 1885. Alors, la fin de la construction de la ligne a vu  aussi le retour d’Auguste, Baptistine et Jeanne vers Portes en Valdaine, berceau de la famille Faure. Mais l’exode rural est en marche et Auguste quitte la Drôme pour la région parisienne, où il trouve un travail de peintre en bâtiment et loge à Levallois Perret.

Mon aïeul Marcel naît en 1887 à Portes …C’est le second enfant du couple.  Baptistine rejoint son mari à Paris avec les enfants quelques années plus tard, et elle occupera un emploi de concierge à Levallois.

Ils finiront leur vie après la première guerre Rue Brassat à Colombes.

 Baptistine, troisième en commençant par la droite

Baptistine en 1917 avec sa petite fille Henriette
 
19 novembre 2017

Et si je vous racontais Adolphe ?...

Adolphe, c'est le père de mon grand père maternel.

adolphe 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adolphe, 1917

Je me réveille en sursaut chaque nuit !...Ils me l’ont coupée…Je ne l’ai plus….Ils me l’ont prise…Et chaque nuit je me réveille en transe, humide dans ce pyjama de flanelle épaisse, qui m’étouffe tant  que toutes les sensations ressenties depuis ces années ressurgissent chaque nuit, me réveillent en sueur et plein de cauchemars. Une chance, qu’ils disaient…J’aurais pu y rester !

Je suis un poilu…. Tous ceux qui ne sont pas partis  là-bas, faire la guerre, sont fiers de leurs poilus. Mais il faut en être un, il faut y être allé pour comprendre, pour sentir cette détresse qui pue la peur.

 Pourtant aujourd’hui, en pleine guerre, mon épouse dort à mes côtés. Mes garçons sont là…Je voudrais tant pouvoir profiter de cette vie dont j’ai tant rêvé dans ma jeunesse : seulement vivre tranquille et heureux.

Je ne peux que sourire en pensant à cette jeunesse passée dans la ville de Niort avec mes parents, avec mon frère Jean et ma sœur Jeanne. Nous avions toujours habité le quartier « de la Blanderie », dans les faubourgs de la ville. Ma mère Hélène était douce et son souvenir me fait du bien….La si belle Hélène, ma maman si volontaire, si effacée mais tellement proche de moi ! Mon père se louait dans les fermes autour de chez nous. On n’était pas riche, mais si bien ensemble ! J’ai grandi avec les mêmes copains de jeux, dans les rues et à la communale. Mes parents ne savaient pas écrire. Ils ont toujours tenu à ce que leurs enfants aient une instruction !

Je me souviens quand mon frère est parti faire son service militaire, j’avais 15 ans, et j’étais jaloux, de le voir si beau, si fier dans son habit de nouveau conscrit. Un képi rouge souligné d’une toile bleue assorti à une vareuse bleue foncée garnis  de  boutons dorés, un pantalon rouge garance et des chaussures de cuir épais. Il était si élégant, qu’on aurait pu croire qu’il partait au bal avec ses copains ! Il n’est parti qu’un an, au lieu de trois, en garnison à Parthenay et revenait de temps en temps à la maison. Il m’a manqué cette année-là, où je suis resté seul avec la mère et ma sœur… Moi aussi, après, j’ai porté l’uniforme pour mon service militaire comme lui, mais durant 2 ans, au 26° régiment d’infanterie…Aujourd’hui, je n’ai plus de fierté…La guerre n’a rien à voir avec le service militaire. J’ai vécu les tranchées et la peur de mourir !…Elle me poursuit encore, jusqu’ici !...Elle me réveille chaque nuit... Je ne suis resté que 3  semaines dans cet enfer mais les copains du 114 sont toujours, …, enfin ceux qui ont survécu …

 

 

 

Le 114° régiment d’infanterie, je l’ai rejoint à la mi-septembre 1914. Sa devise m’a impressionné : «  Peur ne connaît, Mort ne craint ». J’étais fier…Tous croyaient qu’on allait en finir vite de cette guerre…Quand je pense, qu’elle continue, que des centaines de jeunes gens se font tuer chaque jour, et ne reviendront jamais !

Je suis arrivé avec des gars de Paris, dont certains travaillaient aussi aux chemins de fer. On a pris le train jusqu’à Reims ; puis on nous a acheminé jusque vers Moronvilliers, au camp de Mailly. On a découvert les tranchées… Il faisait beau le jour de notre arrivée mais cela n’a pas duré. La pluie se joint aux tranchées des deux bords et transforme la terre en boue collante et lourde…l’humidité couplée à cette fraicheur d’automne, nous rendit moroses et transis.

C’est par un réseau de boyaux à moitié souterrain qu’on a rejoint le 114e. Le gros des combats de la bataille de la Marne, était passé. Durant quelques jours, les canonnades se firent plus calmes….en tout cas, c’est ce que les autres disaient : nous, on avait du mal à comprendre ce qui nous arrivait !

La plupart des gars étaient là depuis début aout, ils étaient déjà épuisés, avec un moral plus bas que tout….La bataille de la Marne avait été rude. Des morts, des blessés, tous les jours…

 

 

Quand même, les gars du génie ont sacrément bossé ! Ils ont  commencé de créer tout un réseau de petites voies ferrées, pour des locomotives et des wagonnets, tractés parfois par des chevaux réquisionnés partout dans la région.  C’est le système de voie inventée par Péchot, avec des écartements de 60 centimètres : cela permettait de rentrer dans les casemates pour apporter les obus, mais aussi, il était en projet que certaines voies ferrées se faufileraient dans des tranchées pour approvisionner l’avant. Sacrée organisation !... Ah, mes collègues de Malakoff n’en reviendraient pas ! On en avait entendu parler de ces systèmes de voies ferrées, avant-guerre. Elles ne permettaient pas une vitesse rapide, ni une sureté de fonctionnement, car les voies étaient simplement posées et boulonnées sur les traverses.

Elles servaient auparavant dans les carrières pour le transport du charbon, ou d’ardoises. Dans la Beauce, la famille Decauville les avait utilisées pour la récolte des betteraves sucrières. Le système permettait surtout le démontage rapide et la réutilisation des voies  mais aussi à des réparations plus simples. Les obus tombaient sur les voies et le service du génie n’avait de cesse de réparer…. Parfois, c’était des hommes qui poussaient les wagonnets : ils remplaçaient alors les mules ou les chevaux….D’ailleurs, les machines à vapeur, petit modèle, n’existaient pas quand j’étais au front. Depuis, ceux qui sont revenus en permission, m’ont bien expliqué que des centaines de kilomètres de voies ont été créés. Cela servait à transporter la plupart des marchandises. D’eux et de leur zèle, dépendaient leurs repas ! Ils voyaient arriver les marmites de soupe, l’eau ou les barriques de vin. Dans les Vosges, le génie territorial, avec des bucherons et des terrassiers, à peu près 400 hommes durant 3 mois, a même conçu des plans inclinés. C’est comme une sorte de funiculaire, qui grimpe un dénivelé de plus de 600 mètres ! Grâce à ses efforts surhumains au péril, à chaque instant, de leur vie, des dizaines de pièces d’artillerie ont été montées sur les crêtes vosgiennes…C’est qu’il faudra bien la finir, cette guerre !

Et cette peur qui me collait à la peau. Ah, j’ai bien cru ne pas les revoir, mes garçons !...Combien de pleurs le soir, à l’abri des regards….

Chacun portait sa propre histoire comme la boue pesante aux pieds …Le grand gaillard qui m’a accueilli quand je suis arrivé, sortait toujours son harmonica dès que les Fritz nous bombardaient : il jouait pour « étouffer » le bruit de l’artillerie ennemie et se rassurer, oublier… On se planquait au plus profond des tranchées et des boyaux. Moi, j’avais toujours peur d’y rester coincé ! J’ai toujours aimé vivre dehors, alors, j’aurais préféré crever à l’air !

Un gars de Bretagne, un peu plus lettré que nous, écrivait tout ça sur le journal du régiment. 

Moi, je suis arrivé le 22 septembre : une journée calme…

«  En exécution des ordres du général de la division, la journée s’est passée à renforcer et à améliorer les tranchées. L’artillerie ennemie est à 500 mètres à peine de la première tranchée d’une de nos compagnies…Tous les retranchements sont visés par intermittence. Notre artillerie a eu du mal à les repérer…Toute la nuit a été marquée par des tirs de balle. »

 

 Le matin, il y avait eu quand même deux gars tués, retrouvés sous un amas de terre…Ceux-là, je m’en rappelle bien: les deux premiers morts que je voyais. Le capitaine a retiré doucement leur chaine militaire. L’artillerie ennemie s’étant calmée, on a pu les évacuer vers l’arrière. Pauvres gars ! Des jeunes…qui ne rentreront jamais chez eux…Des mères qui vont pleurer… « Heureusement », la mienne n’est plus là ! Au moins elle ne pourra pas pleurer…. Je ne sais pas où se trouve mon frère…Pas eu de nouvelles depuis son départ, début aout !

 

« 23 septembre : journée calme avec quelques canonnades ; Capitaine Gonthier blessé et nuit très calme. »

 

« 24 septembre : une violente canonnade d’artillerie lourde vers les tranchées du bataillon de réserve fait de gros ravages : 11 tués et 15 blessés »…Les pauvres gnards, ils ont poireauté toute la journée pour revenir en ligne de front…et c’est l’arrière qui s’est fait canardé !

 

« 25 septembre : dès 6 heures, la canonnade ennemie reprend ; cette artillerie ne peut pas être contrebalancée par la nôtre. Le régiment continue de subir des pertes. Vers midi, nous recevons l’ordre de nous porter à l’attaque des tranchées ennemies. Le mouvement doit s’exécuter à partir de 14h »

 

C’est ma première charge : j’ai la trouille au bide. Si je ne me reprends pas, je sens que je vais faire dans mon calcif.

 

« Les tentatives faites par les compagnies pour se porter en avant échouent, sauf pour la 1°, qui progresse de 400 mètres. Elle se maintient jusqu’au soir ; mais n’ayant pu construire des abris assez profonds et se trouvant en butte à un feu d’infanterie de l’ennemi qui est à peine à 100 mètres, elle ne peut se maintenir en flèche et a dû revenir à son point de départ. Comme les autres soirs, les canonnades ont cessé à la nuit. Pertes de la journée 6 tués et 16 blessés »

 

« 26 septembre : la nuit se passe très calme ; au jour, la canonnade reprend sur les tranchées, toujours dans les mêmes conditions…. »

Ce jour-là, je m’en souviens très bien, car j’ai reçu ma première lettre, par le vaguemestre de la compagnie qui prenait parfois de gros risques pour nous apporter le courrier dès son arrivée au bureau d’étape : une carte de ma chère Jeanne, avec des nouvelles de Marcel. Il est en train de grandir sans moi. J’ai quitté un beau bébé, et Dieu sait quand je vais le revoir… En plus, Jeanne m’a appris qu’un autre petit allait bientôt arriver ! J’ai caché la carte dans ma vareuse, le cœur gros.

Ici, on sait bien que les nôtres existent, mais c’est tellement dans un « autre monde » si lointain, que c’est mieux parfois d’oublier la douceur de vivre à l’arrière.

 

« 28 septembre : suivant les ordres reçus, on se met en marche dès 4 heures, pour aller construire des tranchées à la lisière du bois, au sud de Prosnes. Cette opération s’est déroulée, malgré des tirs soutenus de leur artillerie, mais peu meurtriers »….

 

Je commençais à me dire que je ne sortirais pas vivant de cet enfer !

 

« 1° octobre : conformément aux ordres donnés, le Régiment s’occupe de perfectionner les tranchées, construire des boyaux de communication entre elles et les PC…La journée se passe très calme, Toutefois, tout homme qui se montre est salvé par des coups de fusils isolés bien ajustés. Vers 20h, une violente fusillade éclate sur notre gauche, sur le front occupé par les tirailleurs sénégalais. L’ennemi l’appuie par des coups de canons, mais ne sort pas de ses tranchées.

 

« 3 octobre : les journées se ressemblent….Elles se passent sans gros incident. Les fusillades générales se font rares, mais aucun isolé ne peut se montrer hors des tranchées. La canonnade d’artillerie lourde reprend chaque nuit…. » On ne dort plus…les journées, on doit creuser, et les nuits, on vit dans la terreur d’être enfouis sous la terre.

 

« 5 octobre : vers 10h45, l’artillerie des batteries allemandes ouvre un feu nourri et très précis sur nos tranchées. Impossible de combattre cette artillerie très en arrière dans les bois ! Pertes de la journée : 3 tués et 18 blessés ».

« 7 octobre : quelques coups de canons de l’ennemi, au hasard et sans danger pour nous…Des deux côtés, les bons tireurs s’exercent dans les tranchées, dès que quelque chose se montre. Vers 17H 30, fusillade allemande assez vive sur un avion français….Nuit calme ; on travaille toujours sur les boyaux de communication. Pertes de la journée : Mr le Lieutenant Guilbaut blessé ,1 tué et 6 blessés »…C’est mon copain le marseillais qui y est resté. Depuis 3 jours, il croyait voir sa femme et sa petite fille toutes les nuits. Il ne supportait plus cette humidité, et ce sentiment d’être prisonnier de la guerre. Il ne voulait plus se battre, je crois…

 

Et moi ? …Blessé : un mauvais tir dans ma cuisse gauche!…. J’ai roulé dans la tranchée, comme étonné d’être encore vivant ! Mes copains m’ont placé dans un boyau. Il a fallu attendre des heures à l’abri, sentant grandir cette terrible douleur qui s’installe, déchire ma jambe à l’intérieur. Enfin, au début de la nuit, l’évacuation a été possible. Pour assurer mon transport, deux verres de gnole m’ont fait sombrer dans un sommeil « libérateur » de mes tracas journaliers. Dernier jour au front, mais je ne le savais pas encore !

Je suis sorti de cette léthargie et découvert le poste de secours. Déjà, je n’entendais plus la mitraille… Depuis tant de jours,  je ne vivais qu’avec cela, c’est comme si on avait coupé le son  autour de moi.

Des infirmières m’ont enlevé mon pantalon qui aurait pu tenir debout tout seul, tant la boue était collée au bas. Elles ont désinfecté ma plaie et ne semblaient pas affolées. J’ai dégusté quand elles ont voulu vérifier si un éclat d’obus ou une balle étaient logés à l’intérieur mais il semblait que non. La plaie étant profonde, j’ai bien compris que je ne repartais pas au front. Le médecin est passé  me disant que je continuais mon chemin vers la gare de chemin de fer pour être évacué. Il a bien essayé de me faire tenir debout, mais la douleur était si vive que j’en serais tombé !...Je suis alors resté sur mon brancard. Un convoi d’ambulances partit  la nuit même, vers la gare la plus proche.

On était plusieurs soldats dans des brancards à l’arrière du véhicule. Pas d’avantage de confort que sur le front ! On sentait toutes les ornières de la route …Cela a duré une partie de la nuit, mais, j’avoue que je me suis endormi, me sentant incapable de me retenir, tant j’étais épuisé alors, je n’ai pas tout vu….

Au milieu de la nuit, je crois avoir lu  « Gare de Reims »… Tout à coup beaucoup d’émotions en ressentant l’odeur de la gare. Cela sentait la fumée de charbon et il y avait un grand brouhaha. La marquise était haute, mais bien plus étroite que celle de St Lazare ! …Les ambulanciers nous ont déchargés sur le quai. On est bien resté là toute la fin de la nuit, avant qu’un train arrive, pour nous rembarquer….Que de plaintes…Que de cris…Là, je ne pensais qu’à moi. M’en tirer…Pas crever ici !...

 

 

Au matin, on a été chargé dans le train, qui partait vers Poperinge, en Belgique. Les allemands avançaient, et il était trop très risqué de nous acheminer vers l’hôpital d’évacuation le plus proche : trop près du front !...Le trajet m’a semblé court, abruti de sommeil et de calmants. La douleur commençait à devenir intenable. Une infirmière est venue me faire une piqure de camphre, pour me calmer… Quand le train est parti, presque tous les poilus que nous étions dans le wagon, se sont mis à pleurer, tellement nous n’en pouvions plus.

Tous les gars se laissaient aller : même blessé et c’était pas toujours beau à voir, on ressentait progressivement le calme : la peur semblait s’esquiver au fil des kilomètres ?….

On est arrivé le soir à Poperinge en Belgique. Les infirmières et les brancardiers nous ont dit que nous allions être examinés par les chirurgiens et médecins du camp. Les plus graves seront opérés ou soignés sur place puis  dirigés à l’arrière…Les autres seront directement envoyés vers les hôpitaux auxiliaires. Je ne savais pas ce que je préférais. Je sentais ma jambe devenir lourde et de plus en plus douloureuse.

Je suis en fait resté quelques heures sur le quai, sans même rentrer vers l’hôpital de Poperinge. Les médecins  décidèrent, comme pour la plupart des gars de mon wagon, de nous envoyer en hôpital de convalescence : nouveau train, nouveau transfert …. Que d’activité sur les quais ! Les infirmières et brancardiers installaient les malades. Elles refaisaient régulièrement les pansements, s’inquiétaient de notre état douloureux ou fiévreux. Mon brancard situé près de la fenêtre du wagon me procurait lumière et couleurs extérieures  chaleureuses. Une infirmière originaire de La Rochelle m’a alors dit que j’allais être dirigé sur le sud du pays. Ma blessure m’empêche de marcher mais d’après le médecin elle  guérirait  facilement. Elle m’a pris en sympathie cette infirmière…On était tous les deux du même pays ! Elle m’a expliqué que nous étions dans un train sanitaire doté d’une vingtaine de wagons. C’était :… comme une petite ville à lui tout seul ! Il y avait un wagon réservé pour le personnel qui se relayait aux côtés des malades, un pour les approvisionnements en linge et en alimentation : le linge sale entreposé à part par peur des infections ! Je me sentais fier de cette organisation si compliquée ! Notre wagon précédait  celui de la  tisanerie avec la salle de pansement. Les infirmières passaient donc souvent, et venaient même partager leur pause avec nous. Leur dévouement  était remarquable ! Elles soignaient tant de blessés, dans des conditions si particulières. Parfois, quand un blessé devait être soigné ou opéré en urgence hors de son brancard, le train s’arrêtait dans une petite gare ou même en rase campagne, pour le descendre, afin de l’orienter vers le wagon de la salle d’opération.

 

 

Notre wagon ressemble de plus en plus à un vrai capharnaüm ! Des filets étaient installés dans la partie centrale du wagon, car chacun d’entre nous avait  à sa disposition, à l’arrivée, une collection d’effets et de linge de corps, en usage dans les hôpitaux militaires.  On disposait aussi chacun d’un petit sac en toile épaisse, pour y ranger nos effets personnels : j’y avais mis ma lettre reçue au front que je relisais bien souvent plus deux photos de Marcel et Jeanne et bien sûr mes papiers militaires et ma chaîne avec la plaque… En fait pas grand-chose à moi !

Le lendemain matin, le train  repris  sa marche. Il fit très peu d’arrêt; juste la nuit….Je commençais à devenir  fiévreux: ça m’inquiétait. Même ma petite infirmière en a parlé au médecin. 

Après, je n’ai que peu de souvenirs. Malgré les piqures de morphine, toute ma jambe me faisait souffrir.  La fièvre empirait et puis… je ne me souviens plus. Je savais que le train continuait vers le Sud…On parlait de l’hôpital de Castelnaudary….Bientôt 3 jours depuis ma blessure !

Les autres souvenirs ressurgissent bien après…l’amputation de ma jambe ! Les copains de chambre m’ont raconté : j’étais si mal en point qu’ils me descendirent avec les blessés « lourds » et en premiers. L’urgence « offre » parfois quelques privilèges : la salle d’opération m’accueillie en premier rang ! Je ne savais pas ce qu’on allait me faire…. Dans ma mémoire… le trou total. 

Après, la conscience revenant, plus léger d’une jambe, mais libéré de quelque chose que je sentais devoir arriver depuis que je souffrais…Peut être aurais-je dû plus me plaindre ! Je me sentais tantôt résigné, tantôt révolté… On m’a pris ma jambe ! Comment vais-je marcher ? Qui va travailler pour nourrir mon fils ? Et ma femme avec le petiot qui allait naître ?

J’ai passé des mois de convalescence, partagé entre colère et douleur physique. Mais de voir dans quel état se retrouvent certains copains, je me dis que je ne m’en sors pas si mal que ça avec juste une jambe en moins.

Heureusement, Une bonne ambiance de détente et presque de joie s’est développée entre nous tous. Les parties de cartes occupaient nos après-midis, entre les séances de soins ou d’apprentissage à marcher tout seul…

Adolphe, en bas à droite

 

 

Même si l’hôpital de Castelnaudary était plutôt réservé aux soldats pas trop abimés, la souffrance était notre quotidien. Apprendre à remarcher avec un pilon à la place de la jambe, n’est pas de tout repos ! Et puis, c’est le côté définitif de l’affaire qui ne me faisait pas sourire…Ce n’est pas comme quand on était gamin. Je repense aux jeux de courses au sac ! ….Maintenant, le sac, je l’aurais jusqu’à la mort !

Les infirmières et médecins de la Croix Rouge essayaient de nous remonter le moral…On était en convalescence, et pour beaucoup ce sera la commission de révision et le retour dans les foyers.

Ma famille avait eu rapidement de mes nouvelles. Ils savaient où j’étais et j’avais reçu rapidement des nouvelles de Jeanne et de Marcel. En février, notre second fils est né !...J’étais loin, mais je savais que sa famille était autour d’elle. Elle était repartie à Morlaix après la naissance du petit Jean Adolphe. On avait décidé d’attendre mon retour pour le baptême ; il n’a eu lieu qu’en aout 1916, à la paroisse Ste Valérie de Limoges, où ma sœur était religieuse. Cela a fait tout une affaire chez les bretons…On l’a baptisé que 18 mois après sa naissance.  Mais, je voulais être là !

 

Carte écrite par Adolphe à la sœur de jeanne

Je suis passé en commission en avril 1915, et n’ai pu rentrer qu’après. Ma mère,  mon père ne sauront jamais ce qui m’est arrivé ! Eux qui veillaient tant sur nous !

Alors, oui, Niort, cela devient si lointain…

Mon père est mort quand j’avais 10 ans. Ma mère l’a rejoint 10 ans après… Il a fallu se serrer les coudes. Mon frère avait trouvé embauche comme employé de bureau, puis comptable…Ma mère, avant de rencontrer mon père, travaillait comme domestique dans la famille « Chenilleau », qui avait une distillerie , rue Limousine…, pas bien loin de chez nous. Moi, j’y suis rentré quelques années  plus tard, en 1904.  A l’usine, je fus apprenti puis ouvrier à la  fabrication des liqueurs. Le premier jour j’ai été vraiment impressionné par ces grands et gros alambics en cuivre. Dans les ateliers, on plongeait dans un mélange d’odeurs de  fruits trop murs et  d’alcool. Selon la saison, les fruits de toutes variétés arrivaient par tombereaux entiers. Prunes et mirabelles venaient des vergers de la Sèvre niortaise… Cerises et  pommes  arrivaient du nord de Luçon.  Avec tous ces fruits nous fabriquions des liqueurs ou même des boissons alcoolisées mêlant plusieurs fruits. Les arômes étaient puissants ; j’ai appris ce métier et cela m’a plu, car en dehors du travail lui-même, l’esprit d’équipe était de mise. J’ai toujours aimé plaisanter et mes copains appréciaient  mon franc-parler : et ils me trouvaient « bon vivant » !...Peut être que cette joie de vivre m’a sauvé…

Quand la mère est morte, en 1907, Jean est resté avec notre sœur, et j’ai dû partir à côté de Paris. En fait, le patron m’envoyait démarcher des clients parisiens ; j’ai  trouvé une chambre à louer sur Versailles. Je suis devenu employé de commerce, après quelques années comme liquoriste. Versailles était bien agréable, à côté de la vie grouillante et bruyante de la capitale… sans compter les difficultés pour se diriger et trouver le client.

Je n’y ai pas vécu très longtemps  mais j’ai des souvenirs intenses et précis, sans doute le charme incomparable de la capitale … 

Je logeais alors rue de l’Orangerie : au carrefour de la route de Satory, haut  lieu historique durant  la Révolution… Une plaque signale la terrible fin de tous ces condamnés nobles ou bourgeois, qui malgré la bienveillance du maire de Versailles en 1792, ont été massacrés par la population. C’était un convoi de prisonniers venant d’Orléans : ils devaient être jugés à Paris… Sous « La Terreur », le maire très courageux, avait voulu s’interposer, mais en vain…Presque la totalité de ces gens ont été dépecés sur place…Un charnier…Paraît-il qu’on ne savait plus quelle tête était à qui…Pire que la guerre !                                                                

Le tramway ne passait pas loin et la gare de Versailles me permettait de me rendre à Paris pour mon travail…La clientèle des bistrots parisiens raffolait des liqueurs généreuses des pays…A Paris, on était tous des immigrés venus travailler, tant  la misère avait gagné la province et nos campagnes. J’ai connu des bretons qui avaient quitté leurs familles pour essayer de trouver une nouvelle chance à Paris…Il fallait de tout ! Des journaliers, bien sûr, qui se louaient pour pas cher et chaque jour leur travail changeait : mais aussi des charrons, ou des maréchaux ferrants…des ferblantiers pour le travail des métaux,  des ouvriers pour les industries qui se développaient. Le travail ne manquait pas : il fallait nourrir Paris !

Les entrepôts de Bercy recevaient les vins de toute la France pour abreuver la capitale. Un de mes bons copains y travaillait et j’avais pu découvrir tous ces métiers qui gravitaient autour du vin. Il fallait être gaillard pour décharger les wagons pleins de tonneaux et barriques. Pour ce qui est des liqueurs, elles étaient livrées en bouteilles ou en tonnelets pour certains troquets…

 Il y a avait aussi tous ceux qui gagnaient leurs vies en servants les autres : les charbonniers qui livraient et montaient le charbon, ou l’eau chaude dans les immeubles parisiens. Les femmes ne restaient pas sans tâche : les grosses maisons bourgeoises employaient plusieurs domestiques, des cuisinières, des femmes de chambre… Les blanchisseuses connaissaient l’un des métiers les plus durs, très physiques et dans l’humidité continuelle….Paris  ressemblait à une fourmilière : les ouvriers y trimaient dur.

Mais cette année 1907, on s’en rappelle ! Des catastrophes dues aux périodes de pluies exceptionnelles et interminables : les inondations violentes emportaient des maisons entières qui s’effondraient : tout le pays était endeuillé. En début d’année, on a eu de la neige tout janvier. Je m’en souviens bien, car à Niort, je connaissais rarement la neige !...Les chevaux  et leurs diligences circulaient mal…Les trains restaient aux dépôts. Paris est ainsi restée immobilisée durant quelques jours…

Heureusement les dimanches on ne s’ennuyait pas avec les copains. En juillet, je me souviens encore de la traversée de Paris à la nage.

Jean qui travaillait à Bercy, nous avait  enrôlés pour venir suivre la course...Elle partait du pont National, un peu au sud de Bercy jusqu’à Auteuil ; l’eau de la Seine n’était pas bien chaude en ce début d’été …ce qui n’empêcha pas ces vaillants nageurs de battre tous les records : 12 kms en moins de 2 heures et demi !

Après s’être enduit le corps d’huile et de farine de moutarde, pour mieux résister au  froid, les gars se sont jetés à l’eau !  Deux femmes, des anglaises, ont même  participé à la course… Les acclamations jalonnaient tout le parcours ! Les ouvriers parisiens se mêlaient aux bourgeois endimanchés sur les quais de Seine. Quel dimanche !...On a mangé ensemble dans un bistrot de Bercy, «  Au vrai Saumur » qui était notre repaire. On s’est régalé avec un paleron de bœuf d’Aubrac et un p’tit vin rouge de Loire… Un vrai délice ! J’en salive encore !

Un autre dimanche en fin d’année, avec tous les pots nous sommes allés admirer l’envol du « Ville de Paris », un  dirigeable qui après un envol vers l’est, a fait un survol de la capitale…Les curieux, (dans les rues et surtout dans les places), suivaient cet étrange  et bel oiseau, avec une certaine fierté mêlée de crainte ... Quelques semaines avant, le dirigeable « Patrie » dériva jusqu’en Irlande !...Il avait perdu sa nacelle, son mécanisme et tout le matériel au-dessus de l’Angleterre, pour finir par s’écraser en mer... Il cherchait son nord, ce pauvre ballon !

Et puis, il y avait ces dimanches où on se retrouvait pour refaire le Monde, comme toute la jeunesse de ces années d’avant-guerre. Malgré toutes nos belles pensées, on a « fini » par perdre. Un massacre se préparait …Toutes nos idées de bonheur et de paix ont été vaines, car il a fallu recommencer à se battre …comme en 70. Tous volontaires, enthousiastes pour défendre notre pays et récupérer l’Alsace et la Lorraine. La guerre devait être courte ! « Nous serons rentrés pour Noël », lisait-on sur les wagons : on en était tous persuadés…

Cela fait cependant 3 ans qu’on s’enlise et que des hommes souffrent et meurent…J’ai perdu ma jambe, mais je suis vivant, même si parfois je préfèrerais ne plus être là, tellement j’ai du mal à me supporter invalide.

 

Je me suis bien rendormi, tout entier dans  mes souvenirs Le jour pointe, c’est dimanche…Je n’irai pas trainer ma carcasse jusqu’à la gare pour faire mon travail  où je suis réduit à l’immobilité…Avant en 1911 quand je suis rentré aux chemins de fer, je travaillais comme homme d’équipe sur la gare de Vanves Malakoff…On nettoyait la gare, on préparait les colis pour le chargement des trains, on allumait ou éteignait aussi les signaux, on faisait les manœuvres et mettait en place les trains . Souvent dehors par tous les temps, toujours très actifs, fatigués… mais j’aimais ça.

A mon retour de guerre, j’ai été « facteur » puis « facteur surveillant »…Déjà une chance d’être réintégré ! Maintenant, je suis assis dans une guérite, à la sortie de la gare, pour récupérer les billets …Certains voyageurs me prennent pour un planqué et m’insultent, alors que les autres sont au front ! Ils ne peuvent pas ne voir pas mes jambes, « MA » jambe, ni comprendre que je suis invalide de guerre….Ça me rend triste mais surtout en pétard. J’ai donné ma part, moi aussi !...Avec ma jambe en moins, tout a changé : je ne me sens pas à ma place dans ce boulot sans aucun intérêt. Je bosse à la gare Montparnasse, pas très loin de chez moi…. Le chef m’a dit un jour que je pourrais évoluer en passant des examens pour ne pas rester dans ce travail dégradant !

Marcel et Jean, mes garçons, c’est ma fierté…Je crois qu’ils sont trop petits encore pour comprendre pourquoi leur père n’a qu’une jambe ! Je ne courrais jamais avec ces canailles quand ils vont grandir. Je ne jouerais pas  comme tous les papas !

Mon moignon est particulièrement douloureux ce matin…C’est comme si j’avais mal jusqu’au pied… Dans ces moment-là,  le pilon, difficilement supportable « oblige » que je m’aide de mes 2 béquilles que je calle sous les bras : comme ça, je remarche. Il y a un an, mon pilon s’est cassé lors d’une chute. Alors, je n’ai pas pu travailler le temps qu’on le répare…Depuis, j’en ai un de rechange….Ça a été toute une affaire pour me le faire payer, mais les Chemins de fer ont accepté, sans doute pour éviter de nouvelles absences … En tout cas, je travaille, je suis comme les autres.

C’est la chandeleur, aujourd’hui. Jeanne va nous faire des crêpes…Elle, ma bretonne, n’a pas besoin de cette occasion pour les servir ! Moi, je regrette un peu les tourtisseaux de Niort, que ma mère savait faire à merveille…Elle y ajoutait un peu d’eau de vie, et c’était un délice, avec un p’tit pineau des Charentes, ou même un verre de sa liqueur d’angélique si fameuse….Ça descendait dans la gargane  sans demander son reste !

Ma mère avait été engagée jadis comme domestique mais aussi cuisinière chez Chenilleau : des fins gourmets les bougres ! Originaire de St Gelais, dans la campagne niortaise, elle savait nous mijoter de bons petits plats…Mes grands-parents vivaient dans les environs de Niort. Je ne les ai pas connus ! Mais parfois le dimanche, on allait voir les cousins, à Cherveux. Ma mère, issue d’une fratrie de 4 enfants, permettait ainsi aux cousins des retrouvailles heureuses avec bien sûr l’occasion de jouer ensemble dans les fenils, ou grimper aux arbres.

Dans leur famille, scieur de long se transmettait de génération en génération : frère, père et cousins… Dur métier ; ils débitaient de longues pièces de bois dans le sens de l’arbre pour obtenir des planches, plateaux, poutres, chevrons, voliges, traverses pour les chemins de fer ou même des limonières pour les charrons. Avec leur chevalet et les scies, ils se déplaçaient dans les fermes environnantes pour débiter les planches. Parfois, mais plus rarement, les chantiers venaient à eux. Les hommes très souvent absents de la ferme exigeaient des femmes beaucoup d’ouvrages !

Quand je suis parti sur Paris, tout était nouveau pour moi : la vie tout seul mais aussi le travail ! Heureusement, après mon embauche aux Chemins de fer, je me suis tout de suite plu avec les copains de la gare de Vanves Malakoff…Ils me regrettent,…enfin pour ceux qui sont encore là, donc les plus vieux !

Alors, quand on arrivait de province, pour faire connaissance, il y avait les bals du samedi soir et les guinguettes le dimanche après-midi sur les bords du canal de l’Ourcq, de la Marne ou de la Seine…En 1906, le repos du dimanche s’est généralisé un peu partout…Alors, entre copains du boulot , on s’échappait les dimanches pour faire un tour à la campagne. On sortait le plus souvent sur les bords de Seine vers Bougival, à Croissy, à la Grenouillère ou même à Chatou à la Maison Fournaise, des guinguettes bien connues…Nous les provinciaux, l’air libre nous manquait ! On prenait le train ou le tramway et on finissait à pied…

C’est comme cela que j’ai rencontré Jeanne, de sortie avec des copines bretonnes. Elle aussi avait « migré » sur Paris trouver de l’embauche.

Quand on dansait ensemble, avec la Jeanne, si légère que c’est à peine si je la sentais ! ….

Ah, c’est fini, maintenant mes jambes ne la feront plus jamais danser, et mon cœur n’y est plus.

 

Epilogue

Adolphe Brun vécut jusque dans les années 70, auprès de son épouse Jeanne, avec qui l’entente n’était pas toujours au beau fixe… Ils eurent Marcel avant-guerre et Jean pendant la guerre puis Lucienne une petite fille en 1918 qui mourut à l’âge de 18 mois.

Il passa des examens en interne, et en 1919 devint surveillant, puis en 1923 expéditionnaire au sein des Chemins de fer de l’état.

Il continua toujours à aller voir son frère et sa sœur à La Rochelle jusqu’à leur mort, mais souvent tout seul, par le train, malgré son invalidité. Il aimait aussi rendre visite à son fils Marcel et ses 3 filles, rue Pierre Curie à Colombes, à quelques centaines de mètres de chez lui, avec sa petite voiture roulante actionnée à la force des bras. Avec sa grosse moustache et sa jambe en bois (car il n’a jamais accepté de porter une vraie prothèse), et son sourire jovial, son air « bon vivant », il ravissait ses petites filles, et faisait pourtant plus tard, un peu peur à ses arrières petits-enfants….

 

  Marcel et JeanAdolphe

20 novembre 2016

Suite ?....Retrouvons Julie Laurence, lors de l'enterrement de son père...

J’ai froid …bientôt je tremble…je suis impressionnée comme ils l’aiment, mon père…Tous les amis, et même les clients de mon père, sont dehors devant la maison. ; et même les voisins ….Le cercueil est sur le corbillard, et moi, je tiens la main de Maman…On pleure …Marthe est cramponnée au bras de grand-mère…On me regarde avec tellement de tristesse que c’est ce qui me fait pleurer, je crois …On suit le cercueil…C’est sans doute Papa qui a fait les fers du cheval, qui glisse dans la côte pour rejoindre notre église St Justin…Le vent s’est levé et j’ai froid dans tout mon corps…Je pense à mon père : lui qui aimait me raconter des tas d’histoires …des histoires de « l’Ancien temps » comme il me disait en riant !!!  Il aimait parler de sa mère…grand-mère Marie, que je n’ai pas connue… Elle est morte quand il avait 19 ans. Je crois que de m’en parler devait le soulager, l’aider à se rappeler sa mère à lui…Marie qui était née en Aveyron, au fond de le France, dans les campagnes perdues où on avait faim… Marie habitait une ferme à Albignac…près du gros bourg de Brommat…c’est Papa qui connait. Il était allé une fois voir ses cousins, avec Maman, après leur mariage…

diligence pour BROMMAT

Pour s’y rendre, ils avaient dû prendre le train et mis plus d’une journée pour arriver à Aurillac… mais aussi des heures à pied  et à diligence pour joindre Brommat…il était toujours gai quand il me reparlait du pays de sa mère, de son «  Aveyron »… Pas de grisailles, des montagnes magnifiques et de la verdure partout !

Il me disait que tout y était différent d’ici...Il y avait peu de voitures à cheval, mais beaucoup de charrettes tirées par des bœufs; les maisons semblaient taillées pour résister aux neiges fréquentes…aux pluies et aux brouillards. Pourtant, il y était allé en été et tout lui semblait plus fort : les odeurs des bêtes et des bouses sur les chemins, les senteurs de l’herbe coupée dans les champs et les gens...pas comme ici, plus en « arrière » comme il aimait en plaisanter…Comme si le temps s’était un peu oublié…Mais quelle fête lui ont faite les cousins !...Certains qu’ils n’avaient jamais vu l’ont accueillis comme un frère…il s’est régalé à faire les foins…Maman n’était pas vraiment paysanne et elle en parle encore, des cousines endimanchées qui les ont tant fêtés ! Mais, ce qui le bouleversait, c’est que sa mère, au milieu du siècle dernier, était venue retrouver son frère Jean Antoine à Clichy, qui était « monté » quelques années avant pour travailler à Paris. Il était nourrisseur et il avait besoin de sa sœur pour traire, pour livrer le lait des vaches qu’on lui confiait à soigner….Alors, cela voulait dire qu’elle avait quitté sa campagne pleine de rudesse mais aussi pleine de force, pour aller se perdre dans une vie  inconnue ! Une vie à Clichy qui n’était alors qu’un gros village aux portes de Paris.

Quand mon père me disait cela, je sentais sa voix trembler, et je comprends maintenant que je suis séparée de lui, qu’il ressentait ce que sa mère a dû vivre : une jeune fille de 25 ans, quittant son pays, sa mère,  pour travailler dans cette grande ville …A l’époque, il y a cinquante ans, Clichy était rempli de parcelles en herbe, d’écuries basses, où les vaches fournissaient Paris en lait frais chaque matin. Ma grand-mère les trayait, puis partait à la Porte de Courcelles pour vendre le lait aux passants…

levallois perret

Il  me montrait où elle se postait au niveau des fossés de Paris, car souvent, il l’accompagnait... Ensuite, son frère s’est marié et ils ont ouvert une petite boutique…Mon père se rappelle : il y avait une pancarte «  Laiterie suisse »…c’était comme cela que l’on appelait ces boutiques qui sont maintenant devenues des crémeries. Les passants pouvaient y acheter du lait, mais aussi des œufs ou de la crème. Ils pouvaient aussi pour une dizaine de sous se faire servir une soupe au lait, ou des entremets aux citrons de Menton.

Et puis après, il y a eu la guerre…et là tout a basculé…Ma grand-mère a perdu la raison quand les prussiens sont entrés dans Paris ! …Elle a eu si peur que son lait a tourné : elle allaitait sa fille, ma tante Laurence, la religieuse…après, elle a complètement tourné folle…Ça foutait toujours mon père en pétard !... Il ne les aimait pas les Prussiens !... Elle allait régulièrement à Ste Anne, chez les fous ! Au fur et à mesure, son père a commencé à boire. lls avaient une épicerie et étaient aussi marchands de vin, rue Gravel. Mon père me l’a souvent montrée, cette épicerie un peu sombre, un peu grise, là où tu n’as pas envie de rentrer…. Alors, après c’est lui qui s’occupait de sa sœur avec sa tante Jeanne. Marie, sa mère, était incapable de tenir sa maisonnée, et son état a empiré, elle ne rentrait plus à la maison. Puis, Laurence est partie vivre avec Tante Jeanne, à Luneville, au pays de son grand père… Quand Papa a eu vingt ans, son père est mort sans un sou…Lui, mon père, était terrassier déjà depuis plusieurs années…Il a bossé dur mais il a eu la chance de pouvoir ensuite apprendre le métier des forges…Et puis de rencontrer ma mère…

Ce voyage, il m’avait promis de le refaire avec moi, mais il n’y aura pas de voyage…La vie, tout à coup me semble s’arrêter, devenir trop inintéressante sans lui.

 

Maintenant, on s’arrête…Je n’ai pas vu la route passer, toute absorbée dans mes pensées…On attend que le cercueil soit rentré dans l’église. Maman est si pâle…Je comprends tout à coup qu’elle ne quittera plus le noir…Elle est veuve et j’ai perdu mon papa. De la cérémonie, je n’ai gardé aucun souvenir ...Comme si tout s’était effacé, ou n’avait jamais existé. Je ne comprends pas bien comment Papa va monter au ciel…Mais, je veux bien croire le curé, tout le monde a l’air d’en avoir envie…

eglise st justin

Par contre, je me souviens bien la sortie du cercueil et le voyage vers le cimetière…Il n’est pas loin de l’église, mais, le vent avait forci et le froid semblait prendre sa revanche, en ce début d’après-midi. Alors, j’ai commencé à sentir que c’était l’heure de la séparation. On est rentré dans le cimetière… On a suivi la grande allée principale toute plate et longue bordée de centaines de tombes, jusqu'à côté de la voie ferrée qui le surplombe. C’est là que Papa va être mis en terre….

Maman, Marthe et moi, sommes devant le cercueil…Il y a la famille proche…Les autres sont à Brommat…et c’est loin pour faire le voyage. Ses parents sont morts, il y a longtemps ; ses grands-parents aussi…Lui, n’a plus que nous 3….Chacun défile et nous embrasse. C'est long et agréable en même temps de se sentir aimé par tous: les membres de la famille s'arrêtent un à un, et les amis de mon père aussi... Ils semblent gênés, et bredouillent quelques mots à l'oreille, comme s'ils devaient s'excuser de quelque chose qui leur échappait...

aeriumOui, le docteur a dit que la tuberculose, c’était la maladie des forgerons…Mais, ils n’en meurent pas tous !…Dans notre quartier, il y a peu de ces malades…Par contre, dans Paris, du côté des quartiers des Halles ou de l’îlot St Gervais, le docteur dit qu’il y a de nombreux cas. Cette maladie l’a fait maigrir, et rendu plutôt triste et mélancolique cette dernière année…Il souriait peu, dormait mal et surtout sentait son énergie s’en aller…Il est parti plusieurs semaines en cure, à l’aérium de Rouen …

Mais, il en revenait si déprimé, de voir mourir tant de jeunes autour de lui…Alors, ces derniers mois, il a fait des séjours à l’hôpital Ste Marie, à Villepinte, pour essayer de nouveaux traitements…On n’avait pas le droit d’aller le voir car, en plus, cette maladie est contagieuse. Quand il rentrait, nous devions éviter, de nous mettre près de lui surtout quand il toussait…Sa chambre nous était interdite, elle qui, à force, avait cette odeur âcre de la maladie. Pourtant, Maman aérait tous les jours, comme lui avait bien recommandé le docteur…

Papy est mon refuge…Il est grand et fort. Je reste « accroché » à son bras tout le long chemin du retour . Je crois que je n’ai pas pu le quitter du repas. Les voisines de l’immeuble avaient surveillé le dîner…sur la cuisinière, à bois, le pot au feu avait mijoté et toute la maison embaumait la viande, l’odeur des carottes et surtout les herbes…Des lourdes nappes blanches avaient été posées sur des tables , des voisins avaient apporté des chaises , les assiettes, verres et couverts faisaient ressembler cette tablée à un vrai banquet…Des carafes étaient pleines d’un vin bien foncé, des tranches de miches déjà découpées dans une écuelle profonde…Le pot au feu allait réchauffer tout le monde …Papa adorait ce plat : ces derniers temps, Maman ne savait plus que faire pour lui plaire…Il n’avalait plus rien.

Et maintenant, tous sont partis. Je reste avec Marthe et avec Maman….nos voisins seront toujours présents, attentifs à notre peine, je le sais. Nous sommes tous unis dans cette maison du boulevard !...Quand la voisine du 3° a perdu son bébé, il  avait 8 jours ! Maman et Papa les ont soutenus dans leur peine…C’est fréquent de perdre un bébé, ou un proche, alors la seule force que l’on ait c’est se serrer les coudes…

Demain, c’est encore repos. Juste un jour pour avaler notre deuil, et on retournera à l’atelier. La famille est proche ; je sais que l’on peut compter sur eux tous…Mais, nos dimanches ne seront plus pareils.  Quand on partait tous ensemble, avec ceux de la paroisse St Justin, du côté de la Seine, vers le bois de Boulogne, on quittait Levallois dans la matinée après la messe, et on emportait les paniers garnis de pâtés, de viandes en gelée, de tourtes et de grosses miches de pain bien dorées. De grandes salades de légumes de saison et un beau morceau de fromage ravissaient tous les affamés. Des bouteilles d’eau et de vin étaient calées avec une flanelle mouillée dans des grands paniers en osier que portaient les hommes. Ma mère apportait souvent des radis du petit jardin que mon père cultivait près de la Seine…et ajoutait un morceau de beurre dans une toile et un morceau de glace…Notre colonne s’étendait sur une centaine de mètres…Les pique-nique entre paroissiens étaient  courant et à la mode.  On se retrouvait pour diner, mais aussi pour jouer sur l’herbe aux palets ou aux boules en bois….Avec Marthe, on aimait jouer aux osselets…Papa riait de nous voir nous chamailler car il y en avait toujours une qui essayait de tricher ! Les femmes discutaient en groupes épars le long des rives  en herbe de la Seine. Les habits étaient simples, mais je mettais toujours une jolie jupe ample que Maman m’avait cousu : elle avait une tournure élégante avec des petites dentelles éparses ; pour moi, c’était une jupe de princesse avec son calicot bleu pâle !

 

Une vie sans mon père…une vie au gout amer, mais j’ai Maman et Marthe….N’est-il pas toujours un peu avec moi ?... Dire que je viens juste d’avoir 15 ans…

faire part DC

henriette

billet remerciement

paquin

maison rue de courcelles

 

mariage

 

julie laurence

epilogue

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20 novembre 2016

Et si je vous racontais Julie.....

Tout d'abord, situons Julie: c'est la mère de ma grand mère maternelle....

arbre G julie

 

Alors, voilà mon histoire de Julie....

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Je ne sais pas si on construit le futur avec notre passé…..

                                       …. Mais en tout cas, on le porte…

 

Julie Laurence, 1903

Ce matin, tout le monde sera triste. La voix de ma mère si présente, un peu trainante parfois, surtout ces derniers mois, ne me réchauffera pas….La lassitude se ressentait, la peur et la tristesse se mêlaient...Ce matin, je ne l’entends pas; elle a pourtant passé la nuit à veiller le corps de Papa et ses sanglots m’ont accompagnée toute ma nuit. .

A -t -elle encore assez de courage pour parler, pour me regarder, pour oser montrer ses yeux rouges et fatigués de tant de nuits à veiller, à dormir sur la chaise…

C’est Novembre, mais les gros nuages balayés par le vent d’ouest, sont partis et le ciel tout propre va nous glacer le sang. Ma robe noire, toute simple, est prête…A quoi je vais ressembler…je vais lui faire peur, lui qui aimait tant mon allure de « petite princesse »…sa fée des aiguilles…

Maman descend ; je l’entends…comment lui dire que je suis là, avec elle, comment lui montrer ma tendresse, alors que je sens comme un barrage dans son cœur…Heureusement, Marthe est là ; on sera toutes les deux pour se soutenir. Marthe, c’est comme ma sœur : mes parents l’ont adoptée il y a quelques années….Nous vivions sa famille et moi, sur le même palier rue de Courcelles, quand j’étais petite fille. On était toujours chez l’une ou chez l’autre…Sa mère était couturière …et son père charron. Ses parents sont morts lors de l’épidémie de grippe russe  de 1890. Cette pandémie a fait des ravages  à travers le Monde…J’étais petite et me souviens pas. Depuis, Marthe vit avec nous.

Le feu est ravivé …un grand plat de pot au feu cuit depuis la nuit…La famille va venir pour partager ce repas de fête…drôle de fête.

Il est encore doux de penser qu’il est là. Dans la salle à manger, dans son dernier nid, il se repose, lui qui était si fatigué, toujours… « Ma fée….viens là…  viens près de moi que je te vois, que je profite de toi, de ton odeur de fille …ma fille. »…Cette voix si franche, si tendre, mais si pleine de cette toux grasse ces derniers mois, qu’il ne pouvait à peine parler…à peine se plaindre …Son corps si mince si grand , si maigre me parait flotter dans son costume…Et pourtant, il est encore là…je me régale de le regarder…car ce matin, c’est fini…on va l’accompagner où il aura toujours froid….Et pourtant, tant de moments de quiétude, courts car le travail a habité notre vie…

Mon père est forgeron…toujours dehors ,dans le vent et le froid l’hiver, malgré la chaleur de la forge…des  courants d’air tout autour de lui…Quand parfois, je partageais son repas près de sa forge, on se blottissait autour du feu pour avoir chaud et ses rares mots prononcés, résonnent encore dans ma tête…un peu bourru mon père…Mais, j’ai goutté ces instants, à ne plus pouvoir les oublier ; comme si je savais que ces moments passés ensemble ne seraient pas éternels…Un jour, mais là c’était l’été dernier, il faisait très chaud autour de la forge il était rouge et suant sous sa raide tunique de travail ; mon père avait reçu une commande de fers à cheval par le maréchal ferrant de Clichy…celui qui ferre les chevaux de tous les laitiers, les croque morts et les diligences du bourg... Que de fers a-t-il fallu frapper et frapper encore pour que le maréchal puisse les utiliser plus facilement ! ….J’allais l’aider le soir à mon retour, simplement à les sortir de l’eau et les ranger…Mais, lui, il n’aimait pas cette tâche. Lui, était un spécialiste des outils fins et délicats. Pourtant, il acceptait tous les travaux, car  il faut bien manger. Mais ce qu’il aimait surtout c’était de créer les outils pour les maçons, les jardiniers et surtout les nouveaux cultivateurs qui multipliaient les jardins et les cultures à proximité de Paris …Il affirmait souvent : «  Paris doit manger ! » et il était fier de les voir arriver chez lui pour lui commander binettes, bêches et râteaux que les plus anciens leur avaient recommandé comme étant les meilleurs du coin. Bien sûr, ils avaient souvent englouti leurs maigres économies de pauvre travailleur pour louer un arpent de terre. Alors, pour les outils, « on verra plus tard … quand l’argent viendra », et Paris doit manger …

Alors, les rives de la Seine ont été aménagées en parcelles cultivables, pour éviter les inondations fréquentes qui emportaient tout… Depuis peu avant ma naissance, quand mon père était jeune homme, il était terrassier. Il  remuait des tonnes de terre pour créer les digues, les canaux d’arrosage et les chemins pour desservir les jardins et les exploitations maraichères créées à Clichy tout près de la Seine.

Souvent le dimanche il nous emmenait, ma mère, Marthe et moi, parmi les jardins des bords de Seine…Il les connaissait tous, ces jardiniers qui cultivaient tous les légumes pour les parisiens ; mais aussi les fleuristes qui soignaient les fleurs qui allaient colorer les plus beaux salons parisiens…J’avais toujours un peu peur, car les abeilles pullulaient au printemps, car les ruches étaient placées autour des plantations…Ma grand-mère dit souvent que l’île de la Jatte, toute proche, abritait des ruches par centaine et les abeilles venaient se nourrir dans les fleurs. De plus, l’Empereur Napoléon III, dans le milieu du siècle dernier, a fait aménager de beaux quartiers, où les peintres ont élu domicile …Nombre de toiles ont été inspirées par cette île… Maintenant, les cultures sont de plus en plus supprimées pour construire des usines, comme il y en a beaucoup le long de la Seine vers Clichy…Mais ces après-midi au milieu des fleurs, restent inoubliables…. Maman rentrait toujours avec un gros bouquet qui embaumait la maison ; elle adore la senteur de la rose de Puteaux…Ses couleurs pastelles  sont peu prisées des dames de Paris, qui préfèrent des rouges vifs plus à la mode…

Maman aime ces roses dont les origines anciennes dégagent des parfums délicieux. Elle sait que si l’œil n’est pas charmé, le nez, lui, est ravi…Elle est parfumeuse et travaille à l’usine, qui fabrique ces parfums utilisés par les femmes du « Tout Paris »…Elle aime ces roses, que personne ne regarde habituellement, car elles sont trop claires. Elles viennent de la variété des roses de Damas…Maman sait tout cela ! Mais, il y peu de rosiers à rose de Damas, à Levallois ; ils sont plus loin de l’autre côté de la Seine, dans les roseraies spécialisées des parfumeurs, vers le Mont Valérien.

rose de Puteaux

Offrir des roses à ma mère, était un grand honneur pour les clients de mon père, eux  les ouvriers de la terre, pour qui Papa fabriquait les outils mais il savait aussi leur réparer les angles brisés, les affuter pour que la tâche soit moins rude…Ce n’était pas rare qu’un gars vienne tard pour demander une réparation de l’outil qui taillait mal, ou une aide pour reprendre les manches…. Papa ne disait jamais non…

Maintenant, il est là…encore un peu avec moi…

Ma tante Laurence est là aussi, près de Papa…Elle est restée toute la nuit auprès de lui avec Maman. Elle est un peu la spécialiste  du bon Dieu. Elle est religieuse et est venue aider Maman… Le docteur est venu hier midi et après, Maman a arrêté la grosse pendule de l’entrée…Papa était mort, c’était sûr maintenant.

Et hier, elles nous ont mis dehors Marthe et moi, et nous ont envoyées chercher la Toinette pour les aider à préparer Papa, car toute la famille va venir lui dire un dernier « au revoir ». Papie Eugène et Mamie  vont revenir ce matin ; ils sont partis bien tard hier, tellement tristes  de notre malheur…

Maman est là et curieusement elle m’a pris fort tout contre elle, en me chuchotant des mots doux et des encouragements, comme si elle voulait les entendre, comme si elle avait aussi voulu que quelqu’un puisse les lui dire. Etrangement, le pot au feu sent bon…c’est Marthe qui le cuisine…Elle est souvent derrière les fourneaux.

«  Ton père aurait voulu que tous soient bien reçus dans sa maison…alors, bientôt tous vont être là, le corbillard va venir et on partira vers l’église. Après, on reviendra ici manger tous ensemble….Tu vas t’habiller maintenant…Marthe est déjà prête… »

Tout à coup, entendre cette voix claire, me donne des frissons…On n’a plus qu’elle ! Je viens de le comprendre avec effroi… Papa, il va partir. On va être toutes les trois….Seules ! Et les questions qui dansent dans ma tête…Vais-je rester ici…Qui va reprendre la forge de Papa ?...Pourrais-je continuer à apprendre la couture ?

Je suis arpette dans un atelier où je vois tellement de choses d’un autre  Monde, et je suis avec Juliette mon amie de toujours. Elle habite au fond de la rue Poccard… Le matin, elle vient me chercher pour partir ensemble à l’atelier. C’est chez Moline, un gros atelier, avec de nombreuses ouvrières. Il y en a qui fabrique les tissus…Moi, je suis dans l’atelier des robes de mariés…

écoleOn est surtout des jeunes filles. Moi, j’apprends. Enfant, j’ai fait mon école chez les Sœurs de la Providence de Portieux, à Levallois. Elles m’ont appris à coudre, et Maman m’a placée dans une maison de couture ! Je n’ai pas encore le droit de travailler sur les tissus soyeux  et délicieux qui coulent sous la main, pas encore le droit de coudre les calicots fins en damassés délicats. J’aime tellement les tissus et leur douceur sur mes doigts…En ce moment, on s’active sur les robes pour les premiers mariages du printemps. Madame Catherine, la chef d’atelier, dit que je suis douée, que j’apprends vite…J’aide à placer les épingles, quand les Dames viennent essayer leurs robes ou leurs habits cousus sur mesure ; je reprends les ourlets et les petits points doivent être invisibles… Parfois, je vais même chez les rupins du 17 ème, où ma patronne a des entrées…Je vais porter les colis, ou récupérer les tissus…Mais, depuis peu, j’ai le droit d’observer de temps en temps les plus habiles, à piquer les manches à la machine. Une SINGER est arrivée dans notre atelier…De l’autre côté de la Seine, il y a aussi des usines beaucoup plus grandes, mieux équipées. La patronne dit que cela devient difficile, mais que notre travail doit être sérieux et impeccable pour garder nos clientes. Des grands magasins comme le « BON MARCHE », vendent des vêtements tout faits, et pas sur mesure…Mais, les parisiennes chics préfèrent porter une pièce unique, originale et pour laquelle elles ont choisi le tissu !

 

Mais, comment allons-nous vivre ?...Chaque jour je rapporte 40 sous à Maman…Quand je serais couturière, je pourrais gagner au moins 2 francs par jour. Mais, encore au moins 3 ans à attendre… Chaque matin, Juliette, Marthe et moi partons à pied jusqu’au boulevard où se trouve l’atelier. C’est dur parfois, car le vent s’engouffre dans la rue de Courcelles et nous glace sous nos pèlerines ! Alors, depuis 2 ans, ma vie est ici,  mais aussi au milieu des ouvrières, des confidences et des chuchotements discrets pour se dire nos secrets. C’est ma vie à moi, même si souvent les mains font mal tellement on pousse sur les aiguilles pour aller plus vite, quand les chefs crient si un point est visible, si on ne va pas assez vite, si.…

Marthe, travaille dans l’atelier de broderie. Elle brode les corsets et aussi les ombrelles …Elle aime les points minutieux, la précision des arabesques. Elle a souvent les yeux qui piquent et le soir les doigts lui font mal

…J’entends tout à coup la voix de mon grand-père…Je dois descendre …Je vais rester auprès de ma mère…La charrette et le gros cheval noir sont déjà là. Le corbillard a ses mantelets noirs sur le côté.. Quand j’en croise, cela me glace le sang…On dirait un peu une charrette fantôme…Bientôt, ils vont fermer le cercueil et emmener Papa…Je vois son visage blanc, une dernière fois : il paraît si reposé… Maintenant je me rends compte qu’il ne tousse plus….

Toute la famille est là ……Mon oncle Charles qui aimait tant Papa, son beau-frère…Tous les deux, ils parlaient souvent de sport…Cette année, je n’ai pas arrêté de les entendre commenter la première grande course cycliste de tous les temps…Moi qui sait à peine faire du vélo !...En 1903,  premier « tour de France » !…Tous les journaux ont relaté les étapes…Il est parti de Mongeron, au sud de Paris, puis les 60 coureurs se sont dirigés vers Lyon et ont fait une boucle énorme de plus de 2000 kms en 6 étapes ! Mon père et mon oncle étaient emballés et dévoraient tous les détails de cette aventure unique…Les coureurs avaient des étapes longues et épuisantes, mais il y avait plusieurs  jours de repos entre chacune…Seulement 21 coureurs sont rentrés à Paris ; les autres ont abandonnés. Je me souviens de cet été dernier et de la chaleur de juillet …En fin d’après-midi, on poussait Porte de Courcelles et on guettait le vendeur du journal, «L’auto », qui donnait plus de détails sur la course que les autres journaux.  Papa ne pensait franchement pas que ce petit ramoneur venu d’Italie serait capable de gagner !

 Tout cela faisait un peu oublier la toux chronique de mon père, ses essoufflements, ses traitements et sa faiblesse …

Ma tante Marguerite est si triste. Elle, si élégante d’habitude, semble toute fanée…Le noir ne lui va pas bien ; elle est si pâle dans cette grosse robe noire toute empesée. Cela me rappelle comme papa se heurtait avec elle et sa sœur Laurence sur des sujets politiques… La loi sur la « séparation de l’église et de l’état », encore un nom que je comprenais mal,  allait bientôt être votée… Que de discussions en famille !... Des évêques ont protesté mais, l’Etat a tenu bon. Mon père mettait toujours ce sujet sur la table, au moment du café, dans les repas de famille…Souvent les femmes réprouvaient…Mais, moi, j’aimais bien l’entendre défendre son idée. Il n’aimait pas que les curés se mêlent de tout, c’est tout !...Mais sa sœur, religieuse, n’aimait pas que l’on plaisante de ces sujets…Mais sans être contre le clergé, mon père appartenait à l’aile gauche , comme il disait ! Les religieux n’ont pas à se mêler de la politique…Mon oncle Charles était encore plus virulent ! …Pour lui, les curés s’occupent des églises mais n’ont pas à donner de leçons de morale ! Les écoles sont communales et républicaines. J’ai eu la chance d’aller à l’école …Ma mère n’y a pas été si longtemps…Mon père, d’après ce qu’il m’a raconté, a juste eu le temps d’apprendre à lire et compter…Après il y a eu la guerre à Paris !

...suite dans quelques jours !

 

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19 novembre 2016

Des histoires, oui mais d'abord les présentations !...

Mes parents, c'était mon quotidien....mes grands parents, aussi...Je les ai tous connus !

Mes arrières grands parents, presque tous aussi, mais ils me semblaient plus sortis d'une autre époque...

Alors, me vint l'idée, de raconter, d'après les faits réels qui ont faits leur vie, la vision que j'arrive à en avoir maintenant....

Récolter les anecdotes familiales, les précisions de chacun, les détails oubliés, les photos glanées qui fige la vie quelques secondes...

Allez, vous êtes prêts ?.... alors : Présentations de ces arrières grands parents !

Julie Laurence, une parisienne née en  1888 et qui sera couturière

Marcel, son mari né dans la Drôme méridionale en 1887  qui a immigré vers la Capitale avec ses parents, et qui deviendra peintre en batiment.

mariage julie 3Leur mariage en 1911 à Levallois Perret

Jeanne, la bretonne née en 1892 à Plouegat Guerrand

Adolphe, son mari, né en 1887 à Niort, employé du chemin de fer qui sera blessé lors de la Grande guerre.

JEANNE CALVEZADOLPHE BRUN

 

 

Joséphine, née en 1873 à Bordeaux

Charles Guillaume, son mari, né en 1866 à Bordeaux aussi, issu d'une famille de propriétaires terriens cantalous, et qui a émigré vers 1850 vers Bordeaux

 

magasin cours tourny

 

 

 

Les voilà devant leur magasin du Cours Tourny

 

 

 

 

Jeanne, une parisienne chic, née en 1883 à Paris, dans le 12 ème arrondissement

Georges, son mari, né en 1884 à Limoges, et ayant fait carrière dans les chemins de fer.

photo jeanne grosCLAUZADE GEORGES

 

 

 

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Mes histoires de famille
  • Mes ancêtres ont tous une histoire. Ils sont partis avec, mais m'ont transmis une partie d'eux mêmes. Envie de rechercher, de témoigner, de transmettre par des histoires revisitées de leurs vies, et j'ai l'impression d'avoir une grande famille avec moi !
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